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Photo du rédacteurJulien de Weijer

Gentillesse

Dernière mise à jour : 2 sept. 2020

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Towada-ko, Japon

Mon second repos démarre. L’auberge où je suis se trouve au nord dans la préfecture d’Aomori, au lac Towada.


Travaillant sur mon blog, j’entends parler français ! Qu’est-ce que ça longtemps ! On discute tout au long de la soirée ; un peu de politique, du Japon, de soi. C’est super. Je leur raconte d’ailleurs que j’ai vu un ours la veille, en arrivant au lac. C’était un bébé. Mais qu’est-ce qu’il était mignon !


Je revois mes photos et vidéos prises à Oma. Je réalise que je suis encore jeune ; que ce soit en langue japonaise, en attitude, et même en âge. Tandis que je prétends être devenir un peu plus mature à chaque fois que j’avance, je constate que ce n’est pas toujours le cas. Un premier exemple est la langue. À Oma par exemple, je jalousais du bon niveau de japonais du cycliste tchèque. Alors que je commençais tout juste à me prétendre bon, à pouvoir parler japonais !... Et quand bien-même, il habite ici depuis six ans, et n’utilisant qu’exclusivement le japonais avec sa copine ; je ne peux m’empêcher de me comparer à lui. Quant à la maturité comme second exemple, il y a de quoi dire ! On s’imagine qu’on gagne en maturité après un tel voyage. C’est peut-être le cas. Mais « prendre dix ans dans la gueule » n’est pas mon cas question sagesse en tout cas. J’ai toujours mes gamineries et ma folie. Et je reste assez gourmand et continue de porter un grand intérêt pour l’argent ! Suivant une majorité de valeurs chrétiennes, difficile de dire que j’ai un comportement en vue du vrai et du bien (ne serait-ce que dans l’intention de ma propre santé et de mon bien-être).


Towada-ko, Japon

Je devrais être davantage à l’écoute au lieu de jaser, lire davantage au lieu de trainer devant YouTube et ne pas conclure trop vite, quel que soit le sujet.


Je pense rester une nuit ou deux avant de partir.


Je n’ai toujours pas retrouvé la même envie de visiter, de découvrir de nouveaux endroits comme auparavant tel qu’au Moyen-Orient et qu’en Amérique latine. Le cycliste tchèque d’Oma est arrivé aujourd’hui. Quelle surprise ! Il me dit que le lac Towada est l’un des plus beaux qu’il est vu au Japon. En y nageant, il pouvait y voir ses propres pieds ! En effet, je sais que c’est impressionnant. Ça me rappelle le lac en Slovénie lorsque je faisais du stop avant d’intégrer mon école d’ingénieur. Et même si un tel lac est à 5 minutes à pied depuis l’auberge, et que j’y suis depuis deux-trois jours, je ne suis toujours pas excité d’y plonger. Selon lui, ce serait donc le moment de commencer à travailler dans ce cas. Il n’a pas tort. En revanche, je prends beaucoup de plaisir à faire du stop. Attendre avec ma pancarte, rencontrer de nouvelles personnes, stresser pour trouver l’abri du soir ; ce sont des challenges qui gardent mon pouce levé.


Towada-ko, Japon

Encore deux nuits et je repartirai. J’espère que les gens du site Wix répondront à mes e-mails entre temps… J’ai terriblement besoin de remédier aux problèmes de mon site.


Question corona, il me faut être plus prudent dans les auberges. Car c’est là que le risque est le plus élevé, et ce bien plus que lorsque je fais du stop selon moi. Il faudrait aussi que j’évite de m’y arrête lors des jours fériés comme aujourd’hui, jours où plus de personnes voyagent. Aussi, je dois faire attention à la façon dont j’utilise le masque ; le laver correctement ou le changer plus souvent si nécessaire. Mais par-dessus tout, me laver les mains parait le plus important. Tout ça est essentiel pour moi, et plus que n’importe qui. Non seulement dû au fait que je voyage, mais surtout parce que je n’ai aucun endroit où aller en cas de contamination. Je dois être plus responsable.


Le mieux serait d’être confiné, ne rencontrer personne tout en voyageant. En effet, je justifie régulièrement le stop en plein corona en argumentant que les transports en commun, les commerces et les lieux de travail sont bien plus dangereux. Et si je pousse mon voyage à une tendance complètement solitaire, je serais safe. Dormir chaque soir seul et avancer sans personne à mes côtés. Et vu que les hôtels sont chers au Japon, je privilégierai davantage les campings gratuits et les parcs à l’avenir. Quant au stop, je mettrai plus régulièrement du gel hydro-alcoolique, ne toucherai mon masque qu’uniquement par les ficelles en le changeant quotidiennement et me dirigerai le plus possible vers les zones avec le moins de cas corona possible.


Hier soir, le cycliste tchèque m’a pertinemment demandé : « Qu’as-tu appris ? ». Car après tout, ce qui compte, c’est d’apprendre, c’est de tirer quelque chose du voyage entrepris, non ? Mais qu’est-ce j’en sais ! Je ne m’en suis jamais véritablement posé la question. Mais je vais essayer d’y répondre. Et tandis qu’il attend que je lui parle de moi, je raconte ce que j’ai appris des pays où je suis passé. J’ai répondu à côté… Pourquoi ? Il n’est pas aussi évident de se juger soi-même.


En écrivant, je réfléchis comment nommer le voyage qui suit le Japon. Car en effet, je le vis différemment de celui qui a précédé mon séjour japonais. Mes sentiments, l’immigration, les challenges du stop (comme la peur du virus), ma situation au départ ; beaucoup trop de choses sont différentes. Je nommerai donc l’avant-Japon Le grand voyage et l’après-Japon Le voyage retour.


J’essayerai à nouveau les sanctuaires, un bouddhiste m’en a convaincu. Il me dit qu’il faut le négocier tel que le stop. Les moines restent des personnes de bon cœur. Il me faut non seulement préciser que je souhaite bien dormir dans ma tente ou simplement avec mon sac de couchage sous un préau, mais aussi leur proposer mon aide et prévenir que je peux me lever tout aussi tôt qu’eux, vers cinq heures du matin. Ce serait d’ailleurs une façon bien originale d’en apprendre davantage sur la culture japonaise. Je n’y crois pas trop. Mais il semble être dans le vrai. Réessayons !


Towada-ko, Japon

Réécrire de mon petit carnet de voyage sur l’ordinateur m’aide à prendre du recul. Par exemple, je comprends davantage ma solitude « forcée » dont j’ai déjà parlé dans le précédent article. Je le vois davantage comme une crise d’un jeune de la vingtaine qui, après avoir suivi une éducation ordinaire, part pour apprendre par lui-même. Bien sûr, il part pour découvrir des nouveaux horizons encore inexplorées, mais aussi pour se découvrir soi, qui est certainement le but final s’il y en a un. Moi, je me suis détaché du monde dans lequel j’ai vécu afin de découvrir un monde inconnu et stéréotypé. Ma solitude « forcée » ne serait donc qu’une réaction après tant d’années d’obéissance à mes parents, une envie de s’écarter, de partir, de s’enfuir, vers une direction où l’on ne dépend plus de nos éducateurs, mais où on ne peut avancer que par soi-même. En ce qui me concerne, j’ai pu avancer, vivre et découvrir deux expériences durant mon voyage : la variété de pays et de cultures lors du grand voyage et, plus profondément, le Japon lors de mon long séjour d’un an et demi. Aujourd’hui, le retour est la nouvelle découverte, la nouvelle expérience, le nouveau voyage. Et toutes ces expériences ne vont que vers une seule et même problématique, la plus difficile à discerner : moi.


Le plus important des articles de ce blog est le contenu. C’est ce que j’essaye de travailler.


En Grèce – et pas que –, il m’arrivait qu’on me paye une chambre d’hôtel. J’étais si heureux ! Aujourd’hui, ce n’arrive que très rarement. Est-ce dû à ma bonne situation financière, à l’expérience que j’ai acquise ou à la culture japonaise qui me serait peu accueillante ? Comme bien souvent une problématique n’est pas composée que d’un unique élément de réponse. Les Japonais sont gentils, je le vois bien en stop. Mais il n’empêche qu’ils ne m’accueillent que très rarement. Et je n’en suis pas une exception. Je me rappelle que c’était également le cas avec l’homme qui présentait les émissions de « J’irai dormir chez vous ».


Towada-ko, Japon

Après avoir atteint le lac Tazawa, je me dirige vers un petit village connu pour ses anciennes maisons japonaises. Mais emmené en stop, je décide de finalement changer de route. Je viens de rencontrer deux infirmières qui ont la trente, quarantaine. Je fais d’abord un détour avec elles afin de voir un bel endroit. Et en effet, ça vaut le coup. La rivière de sources chaudes est magnifique ! Même après avoir vu tant de choses lors du grand voyage, je constate qu’il y a encore de nouvelles choses à découvrir ! J’aime ça.

Ce soir, je dors chez une extrêmement gentille femme infirmière. Chez elle, on passe beaucoup de temps ensemble ; je lui raconte mon grand voyage, on chante ensemble de la musique française, on trinque au nihonshu (saké japonais), je lui présente ma famille en photo, on mange jusqu’à en être repu. C’est une formidable soirée !


Shinjo, Japon

Comme prévue, je passe la journée avec un collègue à l’extrêmement gentille infirmière. On visite d’abord un énorme centre de temples (bouddhiste) et de sanctuaires (shinto). C’est incroyable ! Il y a notamment un sanctuaire destiné à trois dieux en même temps. Ce n’est pas courant.


Le grand-père au très gentil infirmier était huitième dan ! C’est fou ! C’est incroyable ! Il y en a si peu qui arrive à un tel niveau. Et en effet, son travail à plein temps était enseignant de Kendo pour les nouvelles recrues policières.


La vie de l’extrêmement gentille infirmière est assez commune. Née à Yokohama, elle a vécu à Tokyo. Elle a eu une fille qui aujourd’hui est âgée de vingt-ans. À ce jour, elle est revenue vivre seule dans l’immense maison de ses parents aujourd’hui décédés. Elle possède deux voitures et mange souvent à l’extérieur. Tous les matins, elle prie ses parents au petit autel familial de la maison appelé Butsudan. Elle suit un rite bouddhiste nommée Sodoshi.


Elle compte me donner une petite poupée en bois, car je l’ai trouvé assez singulière. Quant au très gentil infirmier avec qui j’ai passé la journée, il m’enverra ses anciennes affaires de kendo. Mais les protections de kendo coûtent cher. Près de deux cents euros, voir plus. Je lui demande de réfléchir encore un peu avant de tout m’envoyer. Il m’enverra déjà un shinai ou deux.


Je reste une nuit de plus, du temps que la pluie s’arrête. Certains endroits se sont même faits inondés. Quant à nous, les alertes d’évacuations ne cessent de nous avertir.


Shinjo, Japon

Je travaille un peu mon blog durant la journée. Avec ma copine, on prévoit de se voir dans une bonne semaine, puisque son programme a changé. Je réfléchis alors à un chemin qui puisse me ramener à Saitama dans les temps. Une fois arrivé à Miyako, dans la préfecture d’Iwate, je suivrai la côte jusqu’à Mita, dans la préfecture d’Ibaraki, d’où je retournerai à Koga pour y faire ma prochaine semaine de repos.


Le soir, après être allé à un restaurant de sushi – un vrai et pas un sur tapis –, on rentre écouter de la musique française autour de quelques verres.


Shinjo, Japon

Aujourd’hui, je pars. Il est vrai qu’elle n’est pas pauvre. Et pourtant elle m’a tant donné ! Certes, un séjour confortable, de la bonne nourriture, des bières, etc. Elle en a les moyens, donc oui. Mais ce dont je suis le plus reconnaissant, c’est le temps, la confiance et l’attention qu’elle m’a accordé. Et ce malgré ce qu’elle possède. Si je devrais désigner ma mère japonaise, ce serait évidemment elle !


Tandis que je viens de monter en voiture, deux jeunes étudiants courent vers moi. Je regarde le conducteur et ouvre la fenêtre. Ils m’ont vu faire du stop pendant un certains temps. Et puisqu’il fait super chaud, ils ont décidé de m’acheter la bouteille d’eau qui m’est tendu. C’est vraiment mignon !


J’entre finalement dans la préfecture d’Iwate. Là, zéro cas de corona n’y est recensé. Super, go ! Mais j’apprendrai quelques heures plus tard que le tout premier cas vient d’apparaître. Au moment même de mon arrivé dans la préfecture.


Un kombini est une superette super pratique que l’on trouve à tous les coins de rue. De temps à autre, leur logo change de couleur. C’est comme si dans certains endroits uniquement, les couleurs d’un McDonald’s changent en brun et gris. C’est surprenant. Et pourquoi d’ailleurs ? Le conducteur me dit que tous les bâtiments autour de certains grands temples et sanctuaires se voient faire interdire certaines couleurs parfois jugées un peu trop flashy.


Je n’ai pas envie de dormir en tente. À une heure de voiture, je peux dormir dans un manga café. Je force le stop en levant le pouce dans le noir. J’attends deux heures aux côtés d’un kombini puis encore une bonne heure à côté d’un supermarché sous un panneau bien éclairant. Mais la nuit, une ambiance de peur règne et le stop devient difficile – pour ne pas dire impossible.


Alors comme d’habitude, je me dirige vers le parc le plus calme, banal et tranquille possible. Là-bas, pas d’alcool, de gens qui traîne ou quoi. Juste des passants du quartier ou des vieux qui promènent leur chien à cinq heures du matin. Et le pire qu’il puisse m’arriver (d’après l’expérience d’autres que j’ai lu sur un forum Facebook), est que la police me demande de poser ma tente autre part dû à une plainte. Et la plupart temps, ils m’emmèneraient en voiture vers un coin plus tranquille.


Maesawa, Japon

Je n’ai pas voulu dormir sous ma tente cette fois-ci, mais pas le choix…


J’arrive vers midi dans une grande ville, Kitakami. Après ça, il me faudra traverser les montagnes. Le problème est que je vais devoir passer mes prochaines nuits en tente, et ce, jusqu’à atteindre la prochaine préfecture, Miyagi. En effet, les prochaines villes sont assez petites et, par conséquent, il n’y a pas de manga café, et donc pas de douche à moindre coût. Et j’ai envie de me poser pour y laver quelques habiles et surtout moi-même. Je vais rester dans cette ville pour y chiller un peu avant de partir pour montagnes.


En sortant de la librairie, un type me demande une petite traduction. Étrange qu’il me demande ça à la dernière minute… Je pense qu’il dort dans la rue. En tout cas, il m’a l’air bien sympa ! Va savoir si cette traduction, concernant la guerre arméno-azerbaïdjanaise, a un réel intérêt pour lui, ou si ce n’est qu’une vulgaire excuse d’approche. Après quoi, on continue à discuter un peu. En descendant les escaliers, il me demande mon « plan ». Souhaite-t-il savoir où je compte passer la nuit ? Peut-être qu’il cherche à savoir davantage à mon propos, pour ensuite mieux me demander quelque chose d’autre. Sans mentir, je lui dis que je compte passer la nuit dans un manga café de la ville. Il me demande alors s’il lui est possible de m’accompagner jusqu’au manga café. Mes doutes se renforcent. J’imagine qu’il compte me mendier quelque chose sur le chemin. Qu’importe. Je lui propose qu’il m’accompagne au supermarché dans un premier temps. Ensuite, on verra déjà.


En chemin, nous discutons. Je mets en avant mon côté pauvre du voyage, tel que dormir en tente dans un parc ou encore dépendre des autres lorsque je fais du stop. Lorsqu’il me dit de le surnommer avec le suffixe « chan », qui signifie mon petit ou ma petite, il me fait tout de suite penser à l’autre vieux vicieux turc (dans mon article Au sud de la mer Noire).


En arrivant au supermarché, je lui dis que comme promis qu’il peut prendre tout ce dont il lui est nécessaire pour un certain montant désigné. Mais je ne sais pas comment être ; être discret, être sérieux, lui prendre ce qui coûte le plus, ou au contraire prendre le moindre cher comme d’habitude. J’essaye d’être un plus bruyant et plus importun que d’habitude dans l’intention que lui ne subisse pas trop la forte pression sociale au Japon. Mais il reste discret, timide. Comment puis-je agir sans le froisser ?... Je m’étonne aussi de le voir tant me respecter ; il me suit sans arrêt, il choisit le minimum et reste gentil et discret. Socialement, c’est parfois difficile pour moi en tant qu’étranger et « pouceux » en plein milieu du corona. On croirait que je porte le virus. Mais je comprends que jouer un rôle n’est pas la bonne solution. Une fois qu’il est satisfait, j’insiste pour lui acheter davantage. Mais j’insiste trop… Voyant sa modestie, j’arrête de lui parler de haut, et essaye de vraiment le rencontrer. Je me prends finalement une cannette d’alcool et lui redemande s’il ne veut vraiment aucun alcool. Mais puisque j’en ai choisi une, il accepte et choisit exactement la même que moi. C’est là que je comprends qu’il ne souhaite rien d’autre que ce qu’il m’a demandé au tout début, passer du temps ensemble. Et si c’est en plus autour d’un verre, c’est encore mieux. Ce n’est ni le confort alimentaire ou de logement qui lui pose le plus de problèmes, mais la solitude. Quant au « chan », c’était pour pouvoir être plus amical – du moins, je l’espère. M’accompagner jusqu’au manga café n’avait que pour unique but d’être moins seul. Il ne souhaite qu’être comme les autres.


On rentre avec lui au parc. On s’installe à son banc habituel et l’on commence à discuter. Petit à petit, j’arrive à lui parler plus sincèrement. Je lui raconte ce que je pense du Japon ; il peut être difficile de s’y faire des ami(e)s ; connu pour sa culture disciplinaire, on n’est pas facilement accepté lorsqu’on sort du standard social. Et il réagit : « Quand j’ouvre mon téléphone, je ne vois que mon prénom. Pas d’ami, personne. ». J’apprends qu’il avait une relation et que, depuis plus de deux semaines, il vit sur le banc sur lequel nous sommes assis. Je lui pose – enfin ! – les questions habituelles lorsque je fais du stop (travail, passion, famille, nourriture préféré, etc.). Il est heureux : « Ça fait longtemps que je n’ai pas eu l’occasion d’avoir eu un copain de boisson (kampai-san). ». Et avec ça, on grignote les quelques chips qu’il lui reste dans le sac.


J’essaye de ne pas aller trop loin dans la discussion. Mais trop tard. J’apprends qu’il n’a pas connu sa mère et qu’il l’a pleuré tout au long de son enfance. Il a quitté son père à l’âge de cinq ans et, dès lors, a vécu avec ses grands-parents. Mais il y à peine quatre ans – ou il y a quatre semaines, je ne sais plus trop – de ça, il venait de revoir son père. Aujourd’hui, il a la cinquantaine. Je vois dans ses yeux que ça lui marque toujours. Ils racontent tout ça, toutes ses angoisses, les larmes aux yeux, à un jeune européen inconnu qui lui a hautainement payé son dîner. Tant bien que mal, il contrôle ses larmes avec bravoure et honnêteté.


Maintenant que je suis assis seul dans le manga café, d’où j’écris toute cette histoire dans mon petit carnet de voyage, je réalise qu’il ne cherchait pas à me duper. Mais à l’inverse, il ne voulait que bonté, reconnaissance et amitié dans une ville où on détourne son regard à la moindre approche hors norme, à la moindre traduction suspecte, à la moindre pancarte de stop. Je prie pour lui !


Kitakami, Japon

Il fait chaud ! Mais faire du stop entouré de montagne reste magnifique.


En stop, un conducteur me dit qu’il a perdu un ami dans le tsunami d’il y a dix ans. Il me dit que désormais ca va maintenant… Mais que c’est triste.


Puis, deux, trois heures d’attente dans un petit village de montagne. C’est long ! Presqu’aussi dur qu’en allant vers le lac Towada. Mais quelqu’un s’arrête ! Lui ne va pas jusqu’au village où je souhaite aller. Mais puisqu’il vient de finir son travail et qu’il est libre, il veut bien m’emmener. Il récupère sa femme en chemin et nous allons tous les trois jusqu’à Iwaizumi. Sans le savoir, une montagne sépare ces deux endroits. Et là route qui y mène est longue et assez dangereuse. C’est pour ça que personne n’emprunte cette route. Autrefois, un train reliait également ces deux villages. Mais au vu de l’insuffisance de trafic, la ligne a fermé. En traversant un tunnel pour du moins étrange, il me dit que c’est bien la première fois qu’il emprunte cette route, alors qu’il y habite maintenant depuis près de six ans. En effet, j’ai vraiment de la chance d’être tombé sur des personnes si gentilles. Et des conducteurs comme eux, des gens qui font des détours uniquement pour m’emmener jusqu’au lieu inscrit sur ma pancarte, sont bien plus nombreux que dans d’autres pays. Je vous avouerai qu’il m’est assez difficile de discerner la gentillesse des Japonais.


En arrivant au village, on demande à un sanctuaire, vide, puis au temple. Tandis qu’au sanctuaire, personne n’était présent, ici, un vieux moine ouvre la porte. Le conducteur demande à ma place : « Lui serait-il possible de dormir ici avec un sac de couchage ? » – « Dame ! », signifiant interdiction en japonais, répond le vieux moine avec un ton sévère. Le conducteur demande une nouvelle fois : « Dans ce cas, lui serait-il possible de dormir sous sa tente dans le jardin (du temple) » ? – « Dame ! » répond-il sur le même ton. Moi tout comme le conducteur et sa compagne sommes surpris de stricte réaction.


Bon, elle et lui m’ont déjà énormément aidé. Je leur demande de rentrer sans trop se soucier de moi. Ils viennent de rouler une heure rien que pour moi, et la route en sens inverse les attend. Me revoilà encore seul. Bon, puisque ce n’a pas été possible, demandons à l’église qui n’est pas loin d’où je suis. Là-bas non plus, personne ne répond. Et malheureusement, mon téléphone ne fonctionne pas. Sinon, j’aurai pu essayer d’appeler le numéro inscrit sur la porte. Mais soudain, une fille qui se dit chinoise m’aide et commence à appeler ce numéro. Et au même moment, la prêtresse américaine arrive. Super, quelle chance ! Mais à cause du corona, elle s’excuse de ne pas pouvoir m’accueillir.


La Chinoise m’emmène alors voir une vieille femme qui tient une boutique de souvenirs au coin de la rue, sur l’allée touristique principale. Cette gentille vieille femme accepte de me laisser dormir dans son akerakkan. Avant que le Japon ne se modernise, c’était un bâtiment où l’on y louait une pièce pour faire la fête ; on s’y retrouvait, on y mangeait ensemble autour de la cuisinière au centre de la pièce, on y buvait jusqu’à s’endormir. Aujourd’hui encore, elle est utilisée dans ce but. Sauf que de temps à autre, une personne peut aussi réserver une pièce pour y passer la nuit.


Arrivé là-bas, je m’installe, j’y prends une douche et je pars faire quelques courses. Plus tard, la Chinoise me rejoint et nous partageons un petit dîner. Je réussis à cuisiner une ratatouille… au micro-onde.


Iwaizumi, Japon

Après avoir visité une grotte, je rejoins la gentille vieille femme pour midi. Quelques ami(e)s à elle y sont également pour leur activité. L’un fait de la poterie et l’autre file du coton à l’aide d’un rouet.


Je continue mon stop. Le soir approche, et j’arrive à Miyako. Après avoir fait le tour des églises, des temples et des sanctuaires, je reviens à l’église catholique où personne ne répondait il y a trente minutes. J’y aperçois une dame qui est en train de s’occuper des fleurs dans le petit jardin de l’église. Elle accepte très gentiment de me laisser dormir dans l’église. Elle prend mes infos par sécurité et je lui propose de me prendre également en photo ainsi que ma carte d’identité japonaise. J’espère qu’ainsi, elle se sentira plus rassurer. Notamment, parce que je suis un auto-stoppeur en plein corona. Elle me précise par contre qu’il ne faudra pas dire à qui que ce soit que j’ai dormi ici. Certain(e)s pourraient ne pas apprécier que j’aie passé la nuit dans l’église – que ce soit à cause du corona ou par sacralité. Je compte donc sur vous pour ne pas aller raconter tout ça aux paroissiens de cette église qui se trouve au beau milieu de la campagne japonaise. Mais quelle gentillesse cette femme ! Quel courage ! Quelle sainteté ! Elle s’excuse par la même occasion de ne pas pouvoir m’accueillir chez elle. Mais il vaut ainsi au vu du corona. Elle repassera demain matin à sept heures pour d’autres préparations. Je serai prêt ! Et puisqu’on sera dimanche, je patienterai dans le restaurant familial afin de pouvoir participer à la messe de quatorze heures.


Miyako, Japon

Tôt le matin, je me lève dans le lieu le sûr qui soit.


Je temporise dans une librairie pour travailler sur mon blog. Quand soudain, plus d’Internet ! Problème ! Jusqu’à aujourd’hui, ma pocket-wifi a toujours bien fonctionné (lorsqu’elle capte du réseau, j’entends bien).


La messe était sympa. Sur dix personnes, huit sont des vieilles femmes. Je reste pour le café et part avec deux paroissiennes vers le prochain village.


Petit à petit, je commence la descente de la côte est. J’arrive à Kesennuma, où l’on me dépose au Joyfull, mon restaurant familial préféré. J’y travaille un peu mon blog et y passe quelques appels.


Ce soir, c’est le parc !


Kesennuma, Japon

Je me suis fais tellement piquer cette nuit ! C’est horrible.


Je commence le stop. Mais c’est vraiment difficile aujourd’hui. L’attente me rend si arrogant… C’est rare. Vivement que ma journée soit terminée.


Dans un premier temps, je visite un bel endroit où on y aperçoit parfaitement la mer.


Puis, j’arrive en début d’après-midi aux côtes de Goishi que j’avais zappé la veille. En effet, ces côtes étaient sur le chemin, en allant vers Kesennuma. C’est un camping… payant et non gratuit comme je l’ai pensé en lisant « Free site » leur site. Mais ça signifie qu’on est libre de placer sa tente où l’on le souhaite, une fois que l’on ait payé pour. Avec une famille en vacance, je passe le temps de l’apéritif. Ils m’offrent quelques verres de blanc.


Ofunato (Goishi), Japon

Je me fais une bonne grosse journée de stop.


Le soir, je mange mon dîner dans un petit parc et commence à discuter avec un Américain. On part manger au restaurant familial. Après quoi, il m’invite à dormir chez lui. Il est homo et chrétien à la fois. Il aime les mangas et les animes. Et son petit-ami habite également au Japon. C’était une bonne soirée entre gaijin, signifiant étranger en japonais.


Ishinomaki, Japon

Aujourd’hui aussi est une grosse journée de stop.


En fin de journée, un mec m’emmène manger des sushis. Et il ne fait que de me répéter : « Mange jusqu’à ce que tu sois plein » et « Ah ! T’as à l’air trop cool ! ». Vraiment, ce mec est trop sympa et bien plus extraverti que la normale. Il me demande d’encourager sa copine à trouver un travail dans une vidéo qu’il lui envoie. Apparemment, elle aime bien étranger…


Le soir, j’atterris dans un petit village. Je trouve mon parc du soir où j’installerai ma tente. Plus tard, je commence à discuter avec la femme au foyer qui habite juste à côté. J’essaye toujours de parler avec le voisinage afin de leur témoigner que je suis qu’un jeune et gentil auto-stoppeur qui ne souhaite que dormir en paix sous sa tente. Ainsi, ils éviteront peut-être d’appeler la police par la même occasion.


Shinchi, Japon

Le plus dur n’est pas d’attendre d’être sous la pluie ou de ne pas pouvoir trouver un bon spot pour y lever son pouce – quand bien-même ça peut être vachement chiant. Non. Le plus difficile est le regard indifférent des gens qui passent. C’est difficile de garder le sourire honnête, le cœur plein d’amour, le regard franc, lorsque tant de personnes te voient si misérable. Il m’arrive donc de traiter les autres de « trop » ; trop gros, trop riche, trop vieux. Un « trop » qui empêche d’être libre, libre de s’arrêter si possible, libre de refuser mon stop poliment, libre de me regarder – et un simple sourire me ravira. Mais m’ignorer… c’est tellement dur. Je pense que le SDF que j’ai rencontré avant comprendrait parfaitement ce sentiment d’ignorance.


Aujourd’hui, je fais d’intéressantes rencontres :

  • D’abord, cinq vieux (la cinquantaine, soixantaine) travaillent à la centrale nucléaire de Fukushima tristement connue. J’ai pu l’apercevoir de loin. Tout un périmètre de cinq ou dix kilomètres, peut-être, est barricadé et sécurisé. Il faut un laissez-passer pour y entrer, car une douane est installée à chaque entrée. Un des vieux a prétendu qu’ils sont de la mafia japonaise, des Yakuza. Mais c’est certainement une blague.

  • Ensuite, six jeunes m’emmènent. Ils sont assez semblables aux vieux d’avant. À l’avant, le passager semble être le boss de la bande. Il crie notamment sur les deux types assis à côté de moi qui ne portent pas masque – lui et les autres n’en portent pas non plus d’ailleurs. L’un en reçoit un de la part du boss. Mais le plus jeune assis au milieu doit se forcer à couvrir sa bouche avec son gilet. Il le fera tout au long du trajet (environ une heure). Tous respectent le boss. Ça s’entend dans leur façon de parler. Quant au conducteur, il semble être plus amical sans pour autant le manquer de respect. Il semble être le bras droit et reçoit lui aussi du respect de la part des quatre autres assis au milieu et à l’arrière. Cet ordre se confirme au restaurant. Tandis que le boss est assis à gauche, ces quartes autres – et j’aurai même envie de dire « le staff » – sont assis à droite. Bien entendu, le plus jeune est assis à l’extrémité de la table. Je suis invité à m’asseoir à côté du boss. Quant au conducteur, il s’assiéra à ma droite. Un moment, le boss réclame de l’argent au mec d’en face de lui. Ce dernier lui donne un certain montant et s’excuse de la somme. Le boss reçoit respectueusement l’argent. Puis, il se tourne vers son bras droit et fait la même demande. Mais il s’excuse de ne pas encore pouvoir lui donner. Entre temps, je profite du délicieux tonkatsu qui m’est offert. En partant, le bras droit donne un coup au plus jeune, pour une raison que je ne connais pas. Il le reçoit sans broncher.

  • Enfin, une conductrice répond à une de mes habituelles questions qu’elle n’a ni mari et ni enfant. Pas de soucis. Mais je note qu’elle le dit avec une certaine tristesse, voir une déception. Elle travaille dans un kombini. J’ai également le sentiment qu’elle est un peu dans le laisser aller. Je la juge arbitrairement par son physique et des courses qu’elle vient de finir. . Mais je suis assez déçu de me voir la juger ainsi. La dépression et le manque de confiance en soi seraient peut-être une raison plus constructive. Sa situation me fait penser au travail à mon père. C’est vraiment beau qu’il passe sa vie à aider et à être aux côtés de personnes dans le besoin, social notamment. C’est si nécessaire. Je le trouve si respectable que je commence même à me dire, et pourquoi pas moi ?

Fatigué des deux dernières nuits sous la tente, je m’arrête ce soir dans un manga café.


Hitachi, Japon

Je recommence une bonne journée de stop comme hier. Je rencontre un grand-père qui a vécu deux ans en Arabie Saoudite, il y a plus de vingt ans de cela. Il me sort « salam aleykoum » et « choukran » normal ! Ça m’a tellement étonné ! Surtout lorsqu’il est déjà rare qu’un jeune parle anglais, on s’attend pas à ce qu’une vieille personne parle arabe. Et après qu’il m’est souhaité bon voyage – comme tout autre Japonais –, je lui réponds « inshallah ». Ça l’a bien fait rire.


Je discute avec un autre conducteur sur ce qui me trotte dans la tête depuis quelques heures. Les Japonais sont gentils, veulent bien faire et sont extrêmement timides. Par exemple. Je souhaite aller loin dans une direction. J’écris alors le nom de la ville de ma destination sur ma pancarte en ajoutant bien « en direction de… ». Néanmoins, peu de Japonais s’arrêteront puisqu’ils ne vont pas aussi loin. Et quand bien-même si c’est sur le chemin, ils auront peur de ne pas pouvoir parfaitement m’aider. Et dans cette fraction de seconde, ils n’auront pas la spontanéité de m’emmener à seulement quelques kilomètres de ma direction. Or, si j’écris tout simplement le prochain village où je suis sûr que la majorité du trafic passera, j’aurai beaucoup plus de chance d’être emmené en stop. Plus généralement, les Japonais s’arrêteront bien plus facilement s’ils sont dans l’entière capacité de répondre à ma demande écrite sur le panneau. Ils sont certes moins spontanés et bien plus timides, mais ils restent très gentils et attentionnés.


Je commencer à m’approcher rapidement de Koga grâce au stop d’un vieux couple qui m’emmène de Mito jusqu’à Shimodate. Lors de la deuxième guerre mondiale, leurs parents respectifs se sont enfuis en Chine où l’un comme l’autre sont nés. Lui était à Nankin et elle à Shinkyo.


Aller ! Dernière ville avant la dernière ligne droite. L’arrivée mettra fin à cette première grande partie japonaise, le Tohoku. Il est quinze heures, tranquille !


J’arrive à Koga. Là, je vais pouvoir – du moins, je l’espère – m’arrêter une semaine afin de revoir ma copine. Mais je suis un peu stressé à l’idée de ne pas pouvoir rester dans mon ancienne maison, la purple house. En effet, je n’y habite plus, et tout ne dépend que du bon vouloir de mon ancien patron et de sa femme.


Mais ce n’est pas un problème. Super ! J’y rentre sans trop d’appréhension. Cette maison n’a pas trop changé. Elle est sale et plein d’insectes. Il y a même une tige qui pousse à l’intérieur de mon ancienne chambre ! Enfin bon. Je n’ai pas à me plaindre. Ça reste un bon secours à moindre prix.

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