Précédemment
J’ai enfin réussi à atteindre le golfe persique, ou golf arabique selon la péninsule arabique, en auto-stop. Voici les chroniques de mon voyage dans l’ordre temporel :
1. “Les Alpes germaniques”
2. “Les balkans”
3. “Au sud de la mer noire”
4. “L’enclave perse”
Jusqu’ici, mon périple maintient une gradualité en passant de pays en pays. Mais, toujours passer d’une culture à autre similaire est devenu lassant à force de ressemblance. Les iranien(ne)s sont vraiment curieu(x/ses) à vrai dire. Quitter le Moyen-Orient en avion vers un nouveau continent est une bonne coupure. Un choc nécessaire après cinq mois progressifs justifiant cette cinquième lettre.
Chapitres : Cultura gaucha / Rencontres touristiques / Simple Bolivie / Voyages arides / Changement de cap
Cet article résume un gros bout de mon aventure soit trois mois et quatre pays. Je m'excuse pour le retard de sa publication et d'éventuelles fautes. Néanmoins, il devrait être de meilleure qualité. Les photos sont toujours liées au paragraphe du dessus et éventuellement de ceux qui le précèdent. Ainsi, je vous souhaite une passionnante lecture rythmée par cinq chapitres au vu de la taille de cet article.
Cultura gaucha
CHANGEMENT
Bon vol. J’atterris à la capitale éthiopienne pour un transfert. L’absence de l’extrême température du Moyen-Orient m’étonne de suite.
Vingt-deux longues heures de vol suivent. Dans l’avion pour l’Argentine, je continue à rêver d’un appartement, d’un travail qui me pousserait à la réflexion, de nouvelles envies plus créatives, d’un nouveau départ ressemblant étonnement à la vie quittée depuis quelques mois déjà. Dû au manque de vie privée, je pense forcément au retour. Je veux travailler, être utile, construire. D’ailleurs, j’apprends que divaguer est assez commun à bons nombres de grands scientifiques, selon un audio-book de l’avion.
L’avion fait une halte à Sao Paulo avant de redécoller pour l’Argentine. Je suis surpris. C’est la première fois que j’emprunte un vol à destination multiple. En attendant qu’une partie des passagers descende pour leur destination, trois passagers sortent leur instrument et boissons chaudes à paille pour un temps folklorique. Je me sens déjà en Argentine. Et une fois arrivé tard le soir, je monte dans un bus, puis un taxi à l’aide d’une gentille dame. Et c’est avec un dernier bus que j’atteins enfin le centre. Il est vingt-trois heures et j’entre dans l’auberge repérée sur l’appli Booking.com. Aujourd’hui encore j’ai de la chance. Non seulement puisque l’auberge la moins chère de la ville n’est pas complète, mais surtout parce que demain commence la grève générale des transports publics.
SECONDE SÉDENTARISATION CONSÉCUTIVE
Je m’adapte les premiers jours en réglant les tâches pratiques. Pour faire quelques achats, je découvre Azimo. C’est une société qu’on paye avec trois euros de commission afin de retirer le montant dans une des banques associées. J’évite ainsi les cinq ou dix euros de frais.
Les jours qui suivent se résume assis devant un ordinateur avec ma grosse veste pour plusieurs heures. Même s’il fait autour des 5°C, la market’ préfère garder ses portes grandes ouvertes… Oui, ça caille. Mais ces temps de relecture et d’écriture éclairent l’esprit.
Les temps dans l’auberge, je les partage avec un britannique avec qui on radote de philosophie – notamment de Nietzsche. Le jour de l’élimination de l’Argentine au mondial de football, je visite le nord de la capitale avec trois brésiliens.
J’approche aussi les personnes, dont deux filles du groupe, plus facilement par le biais du nouvel origami en forme d’éléphant, appris sur YouTube.com. En général, j’en fais spécialement pour les gens qui m’aident. On part toujours avec un avantage lorsqu’on réussit à éveiller prudemment la curiosité de l’autre.
Le dernier jour, je relis et corrige mon post, « Moyen-Orient », du matin au soir. Après deux autres semaines dans une même ville, je pars avec mon anxiété de tous les départs. Ce départ est comme un lundi matin intemporel.
Tandis que mon corps se pose, mes pensées profitent de la lenteur du temps pour se développer.
Souvenir de l’ancien contient. Dû au rappel de luxe et à la sédentarisation – journées repos, yachts, soirées –, Dubaï m’a donné le mal du pays ou une sorte de lassitude du voyage. Mais, le divorce avec la route continue à Buenos Aires puisque j’y reste encore deux semaines.
Quelle direction faut-il prendre ? Vais-je passer par la Patagonie au risque de ne pas arriver à temps pour les JMJ ? Après évaluation, la réalité me retombe dessus. Je viens de faire environ 7000 kilomètres en stop. Si je compte passer par la Terre de feu, un département patagonienne, pour ensuite remonter au Panama, cela me coûtera 14000 kilomètres. Soit le double de distance à parcourir dans un même temps imparti. Autant vous dire qu’il me faut changer de plan. Je décide donc d’éviter la partie du continent qui m’intéresse le plus. Ainsi, deux directions se dessinent. Au nord, en destination des chutes d’Iguaçu me laissant le Brésil ou le Paraguay et la côte pacifique par la suite. À l’ouest, vers le Chili me laissant à son tour l’unique choix de suivre la côte par la suite. Le doute subsiste jusqu’au départ de la capitale argentine. C’est le bon compromis d’un argentin que je choisis. Passer en diagonal vers le nord de l’Argentine, connu pour les montagnes aux 14 couleurs, puis par la Bolivie et le reste de la côte.
Mon blog devient n’importe quoi. Tant la structure est un fourre-tout inorganisé. Tant le contenu des pensées divergent cédant de plus en plus de terrain à la philosophie qu’aux descriptions, plus communes pour un carnet de voyage. Ce n’est tout de même pas un blog de philosophie.
Il y a beaucoup d’homosexuels. Que ce soit dans l’auberge ou dans les dix-neuf autres pays traversés. Le troisième du groupe brésilien est un jeune homosexuel. Comme d’autres de l’auberge, ils n’oppressent pas. Du moins, pas plus que certains hétéros, sources de nombreux lancements d’hashtags d’harcèlement de rue. Contrairement aux irrespectueux, ils vivent leur amour avec distance. Par souci du regard d’autrui et de l’opinion publique. Ils subissent une répression indirecte et culturelle. Pourtant, leur gentillesse n’en est pas pour autant retranchée.
Les auberges regorgent de personnalités amusantes. En particulier un qui à l’apparence rebelle et pantouflard. Un jeune punk et geek de jeux de cartes virtuelles, Hearthstone en l’occurrence. Mais c’est plutôt un stéréotype que j’avais qui, en le voyant, s’est déconstruite.
LA PAMPA ARGENTINE
Je sors de la capitale. Après quelques heures, je suis les nationales, je traverse la pampa. Les villes deviennent des villages, le béton se transforme en champs de blé et mes « spots » ne se restreignent plus aux entrées/sorties de route normatives. Le long des routes de campagnes, ils sont permis – avec plus d’efficacité d’ailleurs – n’importe où. Du coup, les rythmes sont aussi différents. En province, tu sors de la caisse en remerciant pour la gratifiante course, tu poses ton sac puis tu relèves le pouce. En ville et la 4-voies, c’est plus compliquée : Le plus simple est de limiter le trajet aux stations de services et aux péages. Sinon, on te laisse à une sortie à partir de laquelle il te faut marcher vers une entrée de l'autoroute pas trop loin, sans trop de barrières, où tu puisses être visible, où les rambardes n’empêchent pas l’arrêt sûr du véhicule et, de préférence, où les conducteurs ne vont pas trop vite. Les petites routes sont, certes, plus hasardeuses. Il est vrai que de temps à autre les véhicules passent, ils t’emmènent pour quelques centaines de mètres et ils roulent à 30 km/h. À choisir, j'opterai pour l’aventure plutôt que la sûreté monotone bétonneuse. Mais pourquoi cette différence ? Est-ce l’organisation du transport en ville et des autoroutes qui freineraient les alternatives comme le stop ? Ou plutôt l’habitude sédentaire des citadins de la ville, engendrée par cette organisation ?
Avant d’atteindre le nord de l’Argentine – recommandé par un type de l’auberge, je passe par plusieurs villages et quelques petites villes.
La première nuit a été soldée d’une seconde. Non pas, pour le charme du village mais par intérêt à la personne. Aujourd’hui, cela lui appartient. Mais auparavant, il travaillait souvent sur la route. C’est un ancien grand voyageur. Tout a commencé en faisant du stop jusqu’à Ushuaïa, où il a embarqué sur un voilier en aidant un états-unien à trouver la marina. Le capitaine norvégien, son bateau de 8 mètres et eux deux, partent pour l’Antarctique en passant une tempête de force 12 et entre les icebergs – avec un voilier de 8 mètres quand-même ! Malgré les efforts physiques compensés d’un repas par jour, le degré de liberté est tout autre que ce que je perçois au jour le jour depuis 6 mois. Après cela, il a vécu de nombreuses années en Californie puis à Barcelone et à Lyon. Mais après sa seconde femme, il découvre son homosexualité, quitte la France et devient, par sa vie au semblant nomadique. À moins qu’il l’était déjà intérieurement auparavant. De plus, on a un point commun. Non pas cette vie solitaire, du moins je l’espère. Mais une même passion pour la culture japonaise. Moi, c’est au travers d’animes et, lui, en pratiquant l’ikebana. Par contre, il porte également de l’intérêt pour la culture maritime norvégienne et des poèmes persans. À force, il est devenu un « vieux loup de mer », me conclut-il son histoire.
Une autre nuit, je loge chez une famille où j’ai mangé le meilleur asado de ma vie. Bon c’est aussi le seul, mais parmi tous les barbecues que j’ai connu, c’est le plus impressionnant. Quelle différence à nos apéros estivaux ? Mis à part la viande, il y a très peu d’accompagnement. Dans mon cas, c’est un petit bol de carotte pour cinq personnes et un peu de pain si nécessaire. Mais je vous rassure que c’est conséquent puisque la viande compense la faim. En plus de la diversité de viandes et de quelques grosses saucisses se trouve la pièce principale. Tandis que les autres font la taille d’un clavier d’ordinateur, la pièce majeure mesure près d’un mètre de longueur – et ça n’a l’épaisseur d’un jambon. La veille, je goûte aussi des empanados et d’autres petits fourrés. Avant que cela finisse en séjour culinaire, on sort tout de même en 4x4. Depuis que le père travail dans une compagnie de ventes de produits pour l’agroalimentaire, il achète des terrains et du bétail. Il en est presque à son objectif de 1000 hectares. Et c’est justement de leurs terrains que l’on fait la visite. La mère est secrétaire dans le même établissement que son mari. Dans la voiture elle sert le maté, comme n’importe quel passager argentin, offrant tour à tour le contenant dédié rempli de quelques gorgées au groupe. À la fin du tour motorisé, on arrive chez la famille fermière, chargée de faire tourner la production bovine. D’un côté, les enfants de producteurs organisent des soirées pour financer leur fête à l’école. De l’autre, les enfants de fermiers travaillent aux côtés des parents afin de permettre la ferme de tourner. En rentrant, je réalise que je loge dans une maison bien confortable. Je profite de leur véranda à côté de la piscine, de NetFlix, du beau petit chien.
Je reste une nuit chez un jeune qui m’emmène au centre de la ville. Après avoir visité la ville, qui n’est pas aussi bien que raconté, je l’attends portant ses deux petits chatons de 2 mois, chacun sur une épaule, tout en appelant mes parents via Whatsapp. Après m’avoir payé la bière, il m’offre encore le maillot de foot argentin, le numéro 10 de 1986, du grand Maradona… lorsqu’il se droguait… déjà.
Quittant cette même ville, c’est la première de fois en six mois que j’entre dans un camion sans même dire bonjour au chauffeur. Après avoir fait un signe du pouce à travers sa fenêtre, je fonce vers lui, enclenche la portière, pose mon sac entre mes jambes et m’installe pour la route. Mais, pas d’habituelle salutation. Il redémarre tout en restant au téléphone. Il n’y a pas mauvaise manière puisqu’il me vient en aide. Ce qui me choque c’est sa réaction. Il m’aide sans surprise, sans ressentir de nouveautés mais avec continuité et banalité. Cela parait anodin. Mais un auto-stoppeur comprend qu’il est très inhabituel pour qu’un conducteur fasse une telle confiance. Tandis dis que lui ne m’a même pas calculé, jugé, discerné un minimum moyennant des civilités. Ici aucune barrière, uniquement de la confiance. Cette normalité montre à quel point ce routier, parmi tant d’autres personnes, tend le pouce avec bonté. Ce calme social m’envoie petit à petit à me perdre dans mes souvenirs. Je ressasse aussi les opportunités manquées avec différentes filles. La monotonie de la route aide aux regrets. Une heure de route en ligne droite, de barrière et d’arbres. Mais quand bien-même, je suis heureux de ne pas pouvoir tout réussir. De cette façon, le hasard rend l’aventure possible. Sans possible échec, la liberté ne peut exister.
Puis, je visite Cordoba. J'y suis en Couchsurfing(.com) chez un mec d'Equateur unijambiste. Au premier coup d’œil, ça me surprend. Notamment lorsqu'il retire sa prothèse en allant au lit. Mais au bout de quelques minutes, l'habitude s'installe. Avec sa forte personnalité, il parle sans gène. Je pense qu'il est habitué à dévoiler humblement son handicape aux inconnu(e)s. Autant vous dire, que c'est un type porteur d'un grand courage.
Dans la grande ville, je profite de faire un peu de tourisme classique, quelques musées et églises, et avec un peu de chance une observation gratuite de Mars, Jupiter et Saturne.
Je remonte un peu vers le nord en logeant tout d'abord un lac dans la matinée pour ensuite arriver à un village apparemment connu parce qu'il serait "hippie".
Mais contrairement à mes attentes, je suis très déçu. Les couleurs sont certes variées, très variées. Mais la culture des clôtures entourant chaque maison y est bien développée. Par surcroit, je ne peux échapper aux chiens aboyant par plusieurs dans un bon nombre de résidence. Alors peut-être que le musée hippie pouvait sauver la donne. Mais là encore, il est assez semblable aux modernes. Horaires inflexibles et entrée au prix élevé. Si vous souhaitez voir de belles maisons colorées quelques parts en Argentine, je vous recommande San Marco Sierras. Vous aurez peut-être la chance, selon les rumeurs, d'y voir des soucoupes volantes. Autrement et dans mon cas, vous allez vous faire avoir.
PAUSE DÉSERTIQUE
Avant de partir vers le nord avec un couple belge en road-trip, je me repose quelques jours dans une auberge dont l’ambiance est tout aussi stérile que celle de la ville. Excepté le prêche du prêtre au travers d‘enceintes extérieurs résonnant dans tout le centre.
La première nuit est différente que bien d’autres vécues auparavant. Dans un dortoir de 10 lits se trouve un jeune couple. Une particularité étonne au premier regard. La femme est enceinte et leur enfant doit avoir 6 à 8 ans. Ils ne semblent pas bien aisés. Au vu de la grosse enceinte de musique, ils doivent payer leur auberge en fanfaronnant sur la route. Même si leur lit superposé (un par parent) est entouré de bordel, je fais de mon mieux pour m’écarter afin de leur laisser un peu de vie privée.
Jusqu’à minuit mon repos s’entrecoupe avec des cris et des allumages de lumières. Peu importe si d’autres dorment, le père fait comme bon lui semble. Quant à la mère en enceinte, elle semble assez embarrassée des inconvenances produites par sa famille précaire et, peut-être aussi par le fait qu’elle soit dans un dortoir avec un ventre de 6 à 8 mois. Elle est plus qu’excusable. Je ressens même de l’empathie au vu de sa situation. J’ai attendu que la femme ne soit sortie du dortoir pour faire une légère remarque au père.
On se compare souvent à ceux dont on écrit dessus. Ici, je sais qu’il est déjà difficile pour moi, un mec seul, de voyager avec le peu de vie privée que j’ai. Qu’en est-il alors pour cette femme enceinte qui en nécessite certainement davantage ? Est-elle gênée ou voir même humiliée ? Ce qui est sûr est qu’elle endure l’embarras malgré sa situation. On a tous des moments de faiblesses selon notre propre nature.
Leur départ au milieu de la nuit (entre 01h00 et 03h00 du matin d’après un autre type) me soulage et me peine à la fois. Je passerai une nuit tranquille… moi. Enfin bon. On vit tous avec notre être et de l’avoir.
J’apprécie ce repos. Et là, la paresse et la gourmandise me rattrapent. Elles sont le contrecoup du rythme effréné en stop. Néanmoins, je suis heureux de réaliser, qu’ici, je traîne moins qu’à Dubaï et Buenos Aires. Je pense être à nouveau influencé par la dynamique du stop. Vais-je encore traîner puisque je voyage de façon (trop) intensive ? Comment se divertir d’une manière réparatrice et non addictive ? En occident, beaucoup sont des “jeunes-canapés”, expression citée par le pape lors des JMJ 2016. Se laisser vivre par nos plaisirs est va en effet dans le sens d’une société destinée à la surconsommation. C’est une des raisons pour laquelle je crois également qu’il est nécessaire à l’Homme d’avoir une occupation. Autrement, on est pris dans le vortex virtuel des défilements sans fins des réseaux sociaux, des niveaux et des classements dans les jeux-vidéos, des infinités de séries NetFlix. Le débat sur le progrès et notre système de surconsommation perpétuel ne peut être que d’actualité si l’on souhaite une solution fiable à long terme face à l’urgence climatique.
Dans mon cas, je trouve ça chouette lorsque j’arrive à harmoniser, au mieux, occupation et repos. Cet équilibre ressemble au système de l’autocuiseur. Le but étant de chauffer. L’occupation en outre. Mais, une soupape est nécessaire afin que cette dernière ne fasse exploser l’ensemble en “burnout”. Il est parfois nécessaire de lâcher du lest avant que tout ne lâche. Cela paraît austère si vous associer l’occupation exclusivement au travail. Le repos n’a pas pour unique but de se rétablir avant d’attaquer la prochaine tâche. Du moins pour un occidental, cela paraît évident… La balance est personnelle. Ce qui importe est que cela permette à la personne de vivre durablement. Comme la plupart d’entre vous en France et dans quelques autres pays (selon les stats du blog), j’ai aussi mon lundi matin. C’est le temps où mon repos s’arrête pour laisser la place au stop. L’unique différence est temporelle. La cadence et ses alternances diffèrent.
Aujourd'hui, je maudis ces jours où je m'enclave pour des désirs insatiables. Et je rends grâce lorsqu’elles m’instruisent et me font avancer. Cette pondération entre voyage, en stop où à l’écris, et paresse additive préserve ma liberté personnelle. C’est ainsi que je continue à voyager, rythmant auberges et auto-stop.
En parlant de divertissement, je finis mon “week-end quasi-mensuel” (mon repos cité dans la partie précédente justement) par une grande victoire de la finale de la coupe du monde de football… seul, devant l’écran cathodique de l’auberge. Enfin, pas complètement. Deux sud-américains m’accompagnent pour quelques dizaines de minutes. Puis, c’est avec ma mère au téléphone (Whatsapp) que je contemple le jeu jusqu’à la fin. Même avant la victoire, notre pays est vue avec prestige à l’internationale. En Grèce, la France représente la démocratie ; en Iran, la révolution française - tu m’étonnes vu la situation… - ; en Argentine, on possède l’excellence et de merveille culturelle.
Marcher aide à penser selon Aristote. Et je pense trop même. Après six mois de stop en solo, on finit par se perdre de temps à autre. On s’enfonce toujours davantage dans le fond de son âme. Dans une église, je suis perdu dans mes pensées autour devant la question éternelle : “Qui suis-je ?”. Et vais-je le savoir un jour ? D’autres question viennent et s'entrecroisent. Ah la vie ! Ça peut très bien n’être qu’un simple mouvement perpétuel: Animaux, plantes, humains, etc. poussent, braillent et errent jusqu’à leur fin. Une dame s’approche soudainement, sans même bruit de pas, vers l’autel. Juste un signe de croix puis elle retraverse l’église pour sortir. Je ne peux la quitter des yeux car une réponse incohérente me réconforte : “Tu n’es pas seul”. Je reste sceptique. Seulement, je comprends que, par ce simple passage, c’est en cherchant seul que l’on risque de s'égarer.
Comme tant d’autres de grands voyageurs, je suis parti à la découverte de moi-même par le monde que je traverse en stop. La solitude, mon état d’être la plus saisissante, dessine mes routes et mes chemins, me détourne des grosses villes et des pièges à touristes, érige un tas de pensées personnelles et philosophiques, me sauve de la night-life et des rapports sans apports, m’enfonce davantage dans mon âme. Ici, je suis tombé. Mais aujourd’hui, j’ai encore la force de me relever. Le jour viendra où je serai épuisé, où je reviendrai pour l’apéro. Le mal du pays n’a pas encore vaincu mon entêtement à réaliser les prochains rêves/objectifs de voyages. Ce choix de d’autarcie me fait penser au discernement d'ascétisme des moines orthodoxes. Ce n’est que lorsqu’ils sont assez “robustes”, me disait un novice au Mont Athos, qu’ils partent vivre en ermite pour un rapprochement total de Dieu. Car seul on est plus sujet à la tentation, ajoute-il. En communauté tout comme en couple en voyage, on peut se soutenir l’un l’autre. Bien sûr, si le(s) partenaire(s) ne s’accorde(nt) pas, ça va pas le faire. Tout comme ces moines ascétiques, je reviens à la maison/communauté si lorsque ma tentative échouera. Si ce n’est pas le cas - je le crains -, je deviendrai nomade dans l’âme.
POURQUOI ? - update A l’école de la vie ; mes classes sont des expériences ; mes professeurs changent selon la culture et la singularité d’autrui ; j’y apprends qui je suis ainsi ce qui m’environne. Le moyen utilisé à ce jour est le stop. Quant au but, j’ai toujours un rêve de voyage, une destination. Sans but, sans rêves, sans fondations, l’établissement s'effondra. J’espère ne pas être bloqué en train de zoner lors de cet achèvement.
Rencontres touristiques
LES AMIS DE LA ROUTE 40
Avec ce couple flamand, on passe au milieu des collines rocailleuses, de cactus et de buissons secs. Ambiance de far-west et de muchachos. On suit la fameuse route 40, la plus longue au niveau national dans le monde reliant les extrémités nord-sud l’Argentine. En chemin, on croise au bord un immense groupe d’auto-stoppeurs. Ils doivent être trois couples au pouce levé et un grand groupe de 10/15 personnes aux fesses posées. Avec un mix de français et de néerlandais, on partage nos histoires. En partageant mes rêves de voyages, je réalise que je ne pourrais rentrer pas avant 2020. La question logique suit : “Que deviendrai-je ?”. Je sais que tout voir est impossible. Alors, jusqu’où irai-je ? Saurai-je contrôler ma gourmandise, équilibrer mes désirs de découverte, discerner le jour où cette école s'effondrera, m’arrêter avant de me perdre dans la vie de nomade ? Arrivé au premier village, on reste à une auberge avec nos tentes où on partage beaucoup d’histoires et de rires. En compagnies d’autres Français, on partage un barbecue et des pâtes. D’ailleurs, je me suis toujours bien entendu avec des Belges.
Le petit-déjeuner passé, je pars seul pour un tour au hasard vers une cascade indiquée sur ma carte virtuelle, MAPS.ME. Je vois une première entrée qui amène à des “pintorescas pinturas”. Cependant, il me faut un guide local. Je veux d’abord me promener avant de visiter. Je fais demi-tour. En prenant la direction de la cascade, j’entends une petite voix me criant de loin. Je comprends que c’est la petite fille d’une famille, qui m’ont vu partir de l’entrée, m’appelle. Elle me dit : “My father bought you a ticket”. Qu’est-ce qui est le plus étonnant ? La nouvelle ou son incroyable niveau de langue. Moi, j’ai appris le passé irrégulier “bought” au lycée. Tandis qu’elle n’a que dix ans. Je pars seul avec un guide sans dents - comme tous les autres d’ailleurs - pour un tour pour de vieilles traces effacés sur la roche. Après le premier arrêt, je lui ai dit que c’est suffisant. Déçu, je me dirige vers la vallée. Le chemin emprunté se transforme en sentier devenant après moins d’une heure de marche de la simple terre sèche. Mais je ne peux me perdre, car il faut suivre le ruisseau à contre-courant. Et sur le chemin, je rencontre à nouveau la famille avec la fillette traductrice. Plus on se parle, plus sa capacité linguistique m’impressionne. Cependant, mon étonnement est justifié puisqu’elle est inscrite dans une école bilingue. Après avoir marché de longues heures et escaladé une petite falaise de cinq mètres, je me tords à nouveau la cheville vers l’avant. La gauche cette fois-ci. Décidément, il faut croire que le malheur sait être innovant. Bon, cela ne m’a pas empêché de finir ma petite randonnée. En fin de journée, tous ces efforts sont récompensés par un petit resto offert par la famille. Je vous assure qu’une petite mousse et encore de la bière revigorent et me rappelle le confort oublié en métropole.
Cette nuit, j’ai rêvé. Il était une fois, un général de Napoléon nommé “enlève-dents”. Des siècles plus tard, une personne malsaine maudissait quatre amis du protagoniste. Un jour, une organisation décida de les éliminer justifiant la “sécurité sociétale”. Mais, le protagoniste fit face et tenta d’anticiper ces exécutions. À chaque tentative en remontant le temps, ses amis moururent. Et chaque à fois, le lieu et la situation changèrent. La dernière fois se passa dans une maison de campagne. Afin d’accélérer le processus, il décida d’éradiquer le mal de sa source, cette malédiction racine de tous ses maux. Mais, cela est bien difficile puisque cette organisation arriva en même temps. Le corps et l’esprit changèrent…
Mais tout s’interrompt soudainement par le bruit de mon réveil. Et je garde ce sentiment frustrant : est-ce que j’ai réussis à les sauver ou sont-ils perdus à jamais ? Toujours le long de la route 40, je repars ainsi avec la famille argentine d’hier vers le prochain village. Et le paysage en chemin est merveilleux. On est entouré de sable et roches ocre, tranchantes et pointues. Et les bonnes nouvelles continuent. J’ai même la chance de trouver un camping municipal à deux euros la nuit ! L’après-midi, je fais une petite visite en solo sur les hauteurs de la ville, au cimetière. De retour au parc central, je rejoins la famille pour un apéro, une balade puis un resto. Le corps chaud, je m’endors en douceur. Cette fois-ci, je les quitte pour avancer davantage. Je me sépare une nouvelle fois d’un joyeux confort social. Mais l’aventure continue !
Un autre tout petit village touristique mais sympathique où je retrouve la superbe famille de l'étonnante fille bilingue.
En effet ! Je tombe le lendemain matin sur un couple Parisien en 4x4 loué et surclassé au travers d’une nationale qui passe à travers un parc national. C’est la route 33, Quelques kilomètres plus loin, la route monte à 330 mètres d’altitude. En un peu moins de deux heures de route, le désert rocailleux décoré de cactus est remplacé par une série de plus en plus haute de plateaux montagneux couverts d’herbes sèches. On fait un arrêt à une petite chapelle qui se trouve au-dessus des nuages. Je n’aurais jamais imaginé dépasser les 3000 mètres aussi aisément en voiture et sans problème respiratoire. La dernière fois que j’aie faite de l’alpinisme dans les Alpes (Pic du neige cordier), je m’étais préparé et suis allée progressivement. Ici on est monté de 1500 mètres en moins d’une heure… Bon maintenant il faut redescendre et retraverser les nuages. Et la descente porte tout autant de différence visuelle qu’avant. Après le désert rocailleux et les plateaux d’herbes sèches, on passe par une forêt très dense. Est-ce une jungle ? Certainement pas au vu du peu d’humidité et de ce fleuve… euh ruisseau pardon. Je suis conduit jusqu’à Salta.
Dans cette grande ville, je fais la rencontres de trois Vendéens avec qui on se cuisine le dîner. Mais sans trop y rester, je monte à la région touristique du coin. Cela fait longtemps que je n’ai pas discuté de la sorte avec le mec du groupe. J’ai souvent eu ce type de discussion avec un groupe d’amis. En particulier un qui défend beaucoup les idées conspirationnistes. Et puisque c’est un ami avec qui j’ai passé beaucoup de temps, parler avec cette nouvelle personne me donne l’illusion de retrouver certains habitués. Cela peut être un bon exemple du manque de mes amis.
Pour joindre la dernière région du nord de l’Argentine, un couple dit toutes les cinq minutes qu’ils comptent me déposer un peu plus loin. Sauf qu’au bout d’un trente minutes, ils décident de m’emmener à un petit village à l’autre côté de la montagne. Rendez-vous compte que là où je suis monté dans la voiture était leur destination. Et je suis descendu après moins d’une heure de trajet. C’est rarissime ! En six mois de stop, c’est les seuls inconnus qui se sont arrêtés dans l’unique but de m’emmener. Et ce n’est pas du tout sur leur chemin. Ben non, ils ont fait une à deux heures de détour pour moi. Qui ferait un aller-retour Mulhouse-Strasbourg pour un type au pouce levé au bord de la route ? Une autre fois, c’est une locale qui me fait visiter le premier village aux montagnes colorées au cours de la route. Après une balade d’une heure avec sa fille, elles me laissent tout un appartement pour la nuit. Mais, je dois repartir le lendemain puisque des clients d’AirBnB ont une réservation.
Tôt le matin, je repars après avoir visité une petite vallée.
J’arrive tôt le matin au village touristique où je m’installe dans un vieux camping sans eau chaude. Et pour atteindre ces fameuses montagnes aux quatorze couleurs, je fais du stop le long d’un petit chemin. On monte très rapidement. En me dirigeant vers le point de vue, je revois les deux françaises de Vendée. Elle me répond que le mec du groupe est un peu à la traîne. Quel hasard !? Il est vrai qu’on est en pleine montagne. Mais cela reste un lieu extrêmement touristique. Après les avoir saluées, je suis ébahi de la palette de couleur. On a l’impression qu’une multitude d’avions y ont jetée des bassins entiers de colorants. Le contraste naturel donne un sentiment d’irréel. C’est très impressionnant. Comme prévu avec les filles, je passe à leur auberge. Mais à ma grande surprise, je tombe d’abord sur le couple belge en ouvrant la porte d’entrée. Que le monde peut être petit. Une fois que l’on s’installe avec les Vendéens, on se fait virer de l’auberge parce que je ne peux y rester plus de vingt minutes si je n’y loge pas. Quelle ennuie. Comme solution de secours, on s’amuse à une table, à l’extérieur et dans le froid, de mon vieux camping sans eau chaude. Ainsi, on peut se permettre plus de liberté. On passe la soirée à boire, à chanter des classiques français et à se rapprocher. Quant au bruit, on n’a pas eu de soucis. Quant au froid, on l’oublie dans les plaisirs de soirée.
EXCURSION VENDÉENNE
Sachant que l’une des deux filles rentre à la capitale pour son avion, les deux Vendéens continuent vers la Bolivie à deux comme prévu. Le mec a alors proposé que je les accompagne. C’est ainsi qu’une partie de mon voyage change pour quelques temps. On prend un bus, mon quatrième, pour atteindre la frontière. De là, on fait un peu de stop jusqu’à la première ville. En chemin je remarque une ressemblance avec la froide charité du Caucase. Ces Boliviens sont très gentils. Mais, j’ai l’impression que cela ne peut être qu’une fois entrée dans une certaine zone de confiance. J’ai du mal à discerner la culture contrairement à l’Argentine.
Au matin dans l’auberge, trouvée comme étant la moins chère, j’écoute en boucle deux chansons qui me plaisent au réveil : « La montagne » de Jean Ferrat et « Don’t panic » de Coldplay. Cela m’aide à la définition de ma propre identité, un homme de passage, un vagabond, un nomade. Un éternel solitaire qui s’accroche d’expériences en personnes comme un signe qui passe d’arbre en branches. Une fois l’intérêt de l’inconnu consommé, il n’y a plus assez d’accroches pour rester et se sociabiliser. C’est de cette façon que je me vois à cet instant. D’où la puissance de ce chanteur des années 60 qui chante : “Pourtant, que la [vie] est belle”. Ainsi, la joie de l’instant me saisis et me permet de leur cuisiner une omelette iranienne. À trois, on marche au travers d’un paysage western incroyablement magnifique jusqu’à un petit village par l’intermédiaire d’un peu de stop. On se pose quelques instants à la place centrale où une vieille dame fait office d’unique restaurant du village.
On se dirige ensuite vers la montagne afin de trouver un lieu où camper. On établit un beau petit campement qui me rappelle les soirées avec les potes à faire des barbecues sauvages, des “fire-camp”. Seuls les chiens sont désagréables durant cette nuit. Même le froid m’a été bénéfique. Cela m’a permis de ne pas être seul ! Par contre, le mec a eu froid toute la nuit. Il s’est même fait réveiller par un bâtard qui commence à aboyer tout juste à un mètre de son hamac. Acculé, il sort de ses gonds et pousse une grosse gueulante sans frayeur face au chien qui s’enfuit aussitôt. Mais au matin, je comprends que notre petit groupe de trois ne peut rester ainsi. L’un se sent constamment à l’écart. Je ne vais tout de même permettre mon intégration du groupe être synonyme de division. Ainsi, je décide qu’après la petite expédition, je reprendrai seul la route. Une fois de plus… C’est peut-être ce sentiment de départ qui me donne l’impression que cette nuit était comme un rêve. C’était vraiment chouette. C’est nostalgique.
Une fois le soleil levé, on marche plusieurs heures au travers des montagnes. Suivant une ancienne rivière, on remonte le canyon jusqu’au point où on fait face à une paroi. Soit on escalade, soit on rebrousse. Même sans équipement de sécurité, on décide de prendre le risque de monter ces cinq mètres. Je sors ma para-corde pour les sacs de 10 à 25 kilos en rappel (une fois que l’un de nous est escaladé la paroi). Celui-ci monte en tête, attrape la corde et tire les sacs un par un. Une fois que la fille est passée, je monte à mon tour. Mais arrivé en haut, je me sens comme bloqué parce qu’il faut tout redescendre. Je ne perçois aucun chemin praticable sans passer avoir à rencontrer de nouveau une falaise de plusieurs mètres. Je ne me sens pas assez compétents pour prendre la responsabilité à faire descendre d’autres personnes en rappel. De plus, elle a de nouveau des vertiges et on commence à manquer en eau. Et le soleil ne va pas tarder non plus à se coucher. Dans quelques heures, on se retrouve dans le noir coincé au sommet de cette montagne. On y survivra bien sûr mais il bien trop froid pour dormir un minimum. Personne ne le souhaite. Cette situation me pousse à prendre la situation plus sérieusement. Pendant qu’ils se reposent, je parcours différents points de vus à la recherche du meilleur chemin d’accès jusqu’au bas de la vallée. Une fois en bas, on pourra rejoindre la route d’où il faudra se séparer et continuer en stop. Pour l’instant, le but est de d’éviter une falaise comme celle qu’on vient de monter. Descendre une similaire serait trop risqué. Surtout avec quelqu’un qui a le vertige. Je me dirige donc notre petit groupe vers le point le plus éloigné du bas de la vallée afin que la moyenne de la descente soit la moins abrupte possible. Ainsi, on a plus de chance de tomber sur un chemin praticable. Je laisse passer le mec devant qui a l’œil et il trouve le meilleur passage possible. La pente est suffisamment raide pour descendre rapidement en altitude mais pas trop pour que cela ne reste praticable avec aucune grosse falaise. Enfin en bas ! On traverse joyeusement une petite plaine jusqu’à la route. Dès mon retour sur le bitume, je prends le contrepied de leur destination. Eux vont vers Uyuni, centre touristique et désertique tandis que moi, je vais vers Tupiza pour joindre les petites routes et villages plus à l’est.
Simple Bolivie
LA PAMPA BOLIVIENNE
Arrivé au village touristique, je veux partir à tout prix. Loin. Le plus loin possible. Peu m’importe la direction. Sous le sentiment de culpabilité, je ne dois plus les revoir. Je voyage pour apprendre davantage sur moi et non pour tirer profit selon mon orgueil. Mais le coucher de soleil amène brusquement l’obscurité. Je décide donc de m’arrêter au lieu de démarrer cette nouvelle aventure au-dessus des montagnes. Me voilà ainsi à nouveau dans la même auberge qu’en début semaine. À la réception, je vérifie tout de même si leurs noms y sont notés. Par crainte et avec espoir : « Ouf ! Mais dommage tout de même… ». Le destin les garde au passé. Tout le monde souhaite continuer un tendre rêve. Une courte mais belle histoire cassée par la réalité du réveil. Le week-end est fini. Je retrouve la routine solitaire. J’apprendrai bien plus tard qu’eux également étaient revenus sur Tupiza. Avec le recul, je suis heureux que nos chemins ne se sont pas recroisés car…
De bonne heure et de bonne humeur, je suis déterminé à retrouver cet esprit vagabond. Une heure de marche et de stop me mène à une nouvelle région. À 3500 mètres d’altitude à la suite d’un établissement douanier, entouré d’une poignée de maisonnettes et d’une multitude de détritus dans une campagne, mixant herbes sèches et colonnes rocheuses, je lève mon pouce comme à mon habitude. Un 4x4 s’arrête. Il m’accepte à l’arrière, dans le coffre ouvert du pick-up. Je suis sur la route du toit du monde. Au-dessus de tout, je retrouve mes sentiments déjà oubliés. L’impressionnante beauté et le froid me rappelle la réalité d’un frisson à la fois libre et passionnel. De la même façon, l’eau froide jetée sur ma figure chaque matin me tire également vers la réalité.
Les Boliviens sont aimables lorsqu’ils ont la capacité de vous venir en aide. L’un me paye une nuit dans une habitación et l’autre, ex-colonel des forces aériennes (il insiste dans la dénomination de son grade…), me mène en voiture. Je continue en bus (gratuitement bien sûr) vers l’Est puisque la ville de Tarija ne n’attire pas tant que ça. Je passe par une petite ville pleine de vie puis par différents villages. J’apprends également que le stop n’est point commun. Tout comme l’Iran, il vaut mieux préciser le concept (surtout point de vue financier), pour éviter les mauvaises surprises. De plus, le passage de véhicule est assez limité ici. J’attends entre quinze minutes et une heure en moyenne. En plus, les routes n’aident pas. Alors, ce sont des nationales. Voir même de larges chemins. Cela aide à trouver des spots. Mais, elles sont longues et sinueuses. Il me faut donc anticiper en fin de journée. Puisque certaines routes ne rencontrent aucun village sur près des dizaines de kilomètres parfois.
… En chemin, je reste blasé et nostalgique de la séparation du groupe. C’était comme un rêve... Je reste nostalgique de ce temps en groupe. Mais d’un côté, je m’effraie à l’idée que cela m’aurait empêché d’être avec moi-même, en régénération de l’esprit et du corps au petit matin, en pensée profonde au bord de la route, en discussion quasi-forcée avec le conducteur puisque je suis aidé, en confrontation avec mes propres peurs, à la recherche d’un abri chaque jour à 16h00, en relecture quotidienne au coucher. Dans le cas d’un « tour du mondiste » en solo, je rencontre bon nombre d’inconnus. En plus des divergences culturelles, je reçois également un paquet d’avis différents « non-filtré ». Personne ne prend avantage des points sensibles d’autrui ou encore accorde son discours par amitié. Et surtout par inadvertance ! Bien entendu, puisque personne ne se connaît ou si ce n’est que pour le temps d’un instant. À l’inverse, être accompagné(e) d’une quelconque relation permet de s’influencer, de s’aider, de partager l’un l’autre. Et cela s’applique à la bonne ou mauvaise situation, aux rencontres faites, aux directions choisies, aux décisions prises. Bref à l’ensemble du voyage. Ainsi je me dois de me répéter. Par le fait d’être accompagné, notre regard et notre oreille et notre voyage seront tournés vers notre partenaire. Je souhaite être, dû au contexte solitaire à travers lequel je voyage, me tourner le plus possible à la relation que je partage avec le monde extérieur. Encore maintenant, je rêve de sagesse. J’espère qu’il m’arrivera également ce qu’un ami me disait un jour : « En 1 an, elle a pris 10 ans dans la gueule » …
En sautant de villages en village, je reprends l’habitude des auberges puisque le coût quotidien me permet confort supplémentaire. Lors d’un passage de province, un douanier me trouve rapidement une voiture parmi celles qu’il arrête fastidieusement. Ce n’est pas de refus ! Si ce gentil homme n’avait pas été là, le conducteur ne m’aurait jamais emmené. C’est certains. Je suis ainsi conduit jusqu’à la prochaine ville où je compte passer la nuit. Il est tard. Le soleil s’est déjà couché. Je suis déposé pile devant l’église. De la lumière sort des grandes portes en bois. En entrant, je comprends qu’une messe se prépare. Même si je ne sais où dormir, je profite de l’occasion pour y participer. Ça doit presque faire deux mois que je n’y ai pas participé. À la fin de la célébration, je demande au prêtre allemand si je peux y loger pour la nuit. Il doit être 21h… Ne sollicitant qu’un bout de jardin pour ma tente, il me mène dans une chambre et m’offre un lit. Tant mieux, car “des chiens sautent dans le jardin toute la nuit”. En plus, celui de la cour a une taille impressionnante. Auparavant, il s’est mis à courir vers moi en aboyant (mais en réalité c’est à cause d’un chat derrière moi). Le lendemain matin, j’ai la chance de partir avec un ventre gracieusement rempli et avec la foi. Je me suis sens en pleine forme et rassuré. L’hostie m’a vraiment requinquée. Sans oublier le fromage offert au petit-déjeuner par les prêtres. J’espère garder cette foi qui m’avance sans crainte. Alors pourquoi avoir été dans la peur ?
C’est donc en pleine foi que je continue dans cette campagne bolivienne. “Ai confiance en l’inconnu, en l’autre, en Dieu.“ me dis-je. Dans un village, des types qui finissent de réparer un camion m’interpelle. Ils me demandent où je vais étant donné qu’il est rare de voir un touriste, un blanc à sac à dos, marcher vers la fin de ce petit village bolivien nommé Monteagudo. En expliquant ma situation, ils acceptent sans problème que je monte à l’arrière de leur camion-benne. Une fois en pleine pampa, je ressens un bonheur et une liberté sans égales. Je suis émerveillé par la nature que le camion traverse au travers de petits sentiers. Libéré de mes peurs, en joie avec l’environnement, je suis transporté. J’atteins ainsi un sentiment de plénitude spirituelle qu’il m’est aujourd’hui difficile à oublier. Je suis en pleine relation avec le Père. Etait-ce un instant de folie ? Rationnellement, ça l’est sûrement. Il s’arrête en chemin, car ils sont arrivés à destination. Là, je réalise que le hameau le plus proche est à sept kilomètres environ droit devant. Je commence à marcher en pleine confiance sans entendre ou percevoir une once de civilisation. Mis à part le chemin de terre. Pas de voiture, de cabane, etc. Rien. De la forêt et des montagnes. Et personne ne passe. Je marche encore et encore jusqu’au point je fais face nez-à-nez à une vache et deux taureaux. Ils refusent d’avancer davantage. Mes instincts me disent de ne pas passer. Mais au même instant, je suis sauvé par le bruit d’une voiture. Le conducteur m’emmène de là jusqu’à la capitale, Sucre. Et c’est un voyage de plusieurs heures. C’est par ailleurs, le seul à qui je propose un peu d’argent puisqu’il m’achète à manger. Bien entendu, il refuse. Il m’aide tant. Et comme à beaucoup d’autres, je lui suis redevable. Une fois arrivée à la capitale je marche près de deux heures à la recherche d’une auberge. Je dois en avoir fait une vingtaine. Je compte finalement prendre un bon repos bien mérité.
… Ce besoin d’introspection m'écarte-il du partage ? Plutôt qu’être avec l’autre, je choisis plutôt de rester seul. Cela me pousserait-il à m’asexualiser ? Quand même pas. Je sais que ce ne sera jamais le cas. Ceci dit, cela me fait penser aux stoïques. J’en ai parlé dans mon précédent post « L’enclave perse », quand bien-même ce n’avait aucun sens… Ce mouvement philosophique s’appuie sur la raison au prix du détachement. Ne suis-je pas en train de suivre cette idéologie à travers le voyage ? Un entourage constant encombrait-il l’introspection et l’approfondissement de soi ? ...
PAUSE (A) SUCRE
C’est dans une petite auberge familiale que je tiens mon repos. Déjà, le petit-déjeuner est illimité. La madré, l’aubergiste, laisse même les hôtes se servir tout au long de la journée. Aussi, je dors dans une grande pièce de huit lits. Même si elle se trouve à côté de l’entrée, d’où on entend tout de dehors, cela reste un quartier assez calme. Etant donné que je suis seul dans ce dortoir, je retrouve peu à peu mon espace privé. Cela me permet par exemple de jour comme de nuit de suivre mes divertissements sans complexes, sans casque, sans avoir à tourner constamment l’écran, sans avoir honte de pouvoir se goinfrer confortablement. Quant au prix, sa petite réduction qu’elle me fait est la bienvenue. De plus, il est rare que ce prix inclue également un BON desayuno. Ça ne se limite pas à une tranche de pain avec un petit café… Merci !
… Dans mon voyage, elle, la solitude, est un chapitre majeur. Ce sentiment de différence est soudainement apparu durant mes années d’école d’ingénieur. Notamment lorsque l’environnement ou le moment m’étaient familiers (partagé une pizza entre potes, repas ordinaire du soir en famille, etc.). D’autres connaissent certainement ce sentiment de solitude. Parfois, elle est amplifiée. Et aujourd’hui, acceptée. Attention, je dissocie cette profonde solitude d’un mal du pays. C’est plus intérieur et, normalement, indépendant des événements externes. Mais inspiré de Christopher dans Into the Wild et d’André dans la « Route et ses chemins », je me décidais d’agir en traitant cet irrégulier et pénible sentiment à travers un voyage. Vous également, vous trouverez votre façon qui vous est propre pour avancer. Moi, sur un coup de tête – mais un coup de tête bien réfléchi –, j’ai décidé de me lancer dans cette aventure. ...
Les latinos, américains du sud et centrales, voyagent fréquemment pour une longue durée. Par contre, rencontrer plusieurs personnes dépassant la dizaine d’années de voyage est assez rare. Mais ce n’est pas ma voie. Enfin, je l’espère. Et surtout pas comme eux. Six ans à travers le monde comme André, bon peut-être. Mais une douzaine d’années sur un unique continent (si l’on ajoute à ça l’Amérique centrale), c’est beaucoup trop. Et un ami que vous connaissez peut-être est sur la même voie. Quant à moi, 6 à 12 mois par continent est suffisant.
Je privilégie toujours le « pas cher ! ». Street food hésitant, passer des heures à la recherche d’un logement et d’autres à pied pour éviter de payer 50 centimes de bus. C’est évident, je vise toujours le moins cher. Avec le stop et la sollicitation gratuite pour un logement, je peux financer un tel voyage de plusieurs années et non de quelques mois. Simple rappel : ce voyage est financé par mes économies dont la majorité est le cumul d’un salaire d’apprentis de trois ans (sans oublier les coûts du logement et de l’essence). Par contre, il y a des contraintes à ce mode rustique de voyage. On se contente de moins de sécurité. Par exemple ici à la capitale bolivienne, je tombe malade dû au poulet de la veille. Ma tête chauffe et mon ventre se met en quatre. Bon, il le faut bien après six mois d’absence de maladie ! Enfin… je ne suis pas étonné à la vue de la nourriture malpropre, soit l’intégralité de ce que je consomme quotidiennement. Soit dit en passant lorsqu’il s’agit de la nourriture, il ne faut même pas parler d’hygiène ! On peut retrouver de la viande pendue à l’air libre aux côtés des routes polluées par les voitures. Pour soigner cette première maladie du voyage, au repos j’ajoute du Pepsi auquel mixé avec un peu de manzana. Le Coca-Cola aurait très bien pu faire l’affaire mais il est plus cher et plus agressif à mes yeux. Je me rends compte de la force et de l’incroyable adaptation que notre corps porte chaque jour.
… Connaissant maintenant les conditions de mon départ, on suppose que la solitude permet l’introspection. Le changement d’habitude et l’absence des proches entraînent une distance entre le voyageur et son entourage. Certains m’ont dit avoir perdu beaucoup d’amis et la sédentarité. Est-ce vrai ? Qu’en sera-t-il dans mon cas ? Le risque vaut-il la chandelle ? Mais il ne faut pas non plus se laisser abattre. Il vaut mieux se demander, comment pourrais-je en tirer avantage ? Je décide de m’intéresser à ma solitude et d’en apprendre, de sa cause par exemple. Grâce à elle, au travers des cultures des inconnus du monde, j’en apprends davantage sur ma personne et sur le nouvel environnement chaque jour. Alors qu’hier, la solitude m'emprisonnait lors de moments confortables, aujourd’hui elle m’apporte des expériences nouvelles et uniques en dehors de cette bulle européenne. Désormais, vous avez les réponses à d’éventuelles questions à propos de ce qui m’a poussé à partir. En effet, sans avoir été poussé cette solitude n’aurait toujours rien apportée …
Tout au long du séjour à Sucré, je prends mes habitudes de blogueur. Aussi petit que je sois. Je commence à vraiment être exaspéré des définitions d’adjectifs. Sur CNRTL.fr, il y a une définition d’adjectif, trouvé à la suite d’une recherche d’un de ces synonymes, que je peine à comprendre. Et comme très souvent, il est expliqué par l’utilisation du nom. Il faut s’imaginer qu’en cherchant un synonyme de imperturbable, je m’arrête sur flegmatique. Ne connaissant pas sa signification, je consulte la lexicographie. Pensant mieux comprendre, je lirais alors qui abonde en flegme. Mais diable que c’est chiant ! Si je ne connais pas l’adjectif, il y a de très forte chance que je ne connaisse pas non plus son nom. Et pourtant, je comprends bien qu’en enlevant le suffixe, j’obtiendrai le nom. Mais si je ne comprends pas l’adjectif, à quoi bon la définir par le biais du nom, qui lui est relatif, me serait-elle utile ? Quel déni que de vouloir faire simple, mais vrai, tout en bâclant la fonctionnalité du dictionnaire - c’est-à-dire permettre la compréhension linguistique. Enfin bon… vous voyiez que chacun a et aura toujours ses problèmes frivoles et quotidiens. Un autre exemple dans ce piteux cybercafé. À chaque fois que j’y suis, la fille du comptoir passe avec son déo de WC. Si elle ne l’entend pas, elle doit certainement sentir que ça pu par ici ! Lol.
...A l’heure où j’écris, je suis à moitié soulagé que cette histoire en groupe se termine ainsi. Ah… quelle nostalgie. J’apprécie ce voyage solitaire. Mais toujours avec un peu de mélancolie en y repensant. Seul au long terme, accompagné à court terme. Attends. Est-ce vraiment mieux de continuer ainsi ? Cette solitude me convient-elle réellement ? Mais à l’inverse, suis-je prêts à sacrifier un peu de ma liberté ? Ensemble ou seul ? Pour l’instant, Dieu, le destin ou le simple hasard m’a toujours poussé, comme il y a 4 ans vers la Croatie (voir le second post du blog), à cette liberté solitaire. Si l’opportunité apparaît spontanément, je la saisirai. Mais du haut de mes neufs mois plus celui d’il y a 4 ans, une multitude d’incidents ont toujours rompu ces possibilités accompagnées…
ON SE BOUGE UN PEU !
Les pauses et week-end sont vraiment cool. Trop cool. Je suis souvent sujet à la paresse. Mais cette fois-ci, je vais faire un tour de randonnée de quelques jours à la montagne.
A ce jour, je pense qu’un(e) grand(e) voyageur(se) est celui/celle qui part par choix et non par conséquence. Tous partent pour différentes raisons. Ce qui raisonne en moi serait dans un but spirituel, d’approfondissement de soi, à la découverte de nouveaux horizons, de sa mission de vie (à ne pas lire dans un sens religieux). Néanmoins, l’inverse m’horrifie tel que partir : pour se sentir spécial en sortant des vidéos puériles et vide de sens via une série de vlogs consumériste et orgueilleux ; parce qu’il faut le faire – « it’s on my bucking list ». En même temps, il y a aussi de bons vidéastes et blogueurs qui témoignent d’une vraie expérience. Tant mieux. Mais d’autres en forment un statut. Et comme tel, ils ont besoin d’être vu et applaudi. Chaque spectacle a besoin, aussi lointain et petit soit-il, de public. Un voyage sans raison est vide de sens, d’où la nécessité de choix.
Personnellement, j’ai mes raisons de voyager. Et écrire devient de plus en plus éreintant. C’est une des raisons pour laquelle je ne publie pas souvent – ça doit faire plus de 6 mois. En imageant, je dirai que j’étais à l’état de graine. Une graine partit à la recherche de questions, de sens. Je ne faisais qu’attendre que la pluie tombe. Ainsi, je n’aurais qu’à espérer de devenir plus fort et assidu pour obtenir une piste, une question, une problématique, une pousse. Aujourd’hui je suis une jeune plante qui ambitionne à grandir à cet état d’arbre accompli. Etat de maturité dont le sens et la problématique sont inscrits dans son tronc. J’espère ensuite que cet arbre ne cessera jamais de grandir, d’élargir son tronc d’ambitions et de problématiques, avant que la fin le rattrape. Je serais un arbre sage.
Un dimanche, un couple français, une russe et moi ; tous vont à la messe avec l’aubergiste et ses deux enfants.
Le lendemain avec la russe, on part ainsi pour Maragua avec un collectivo. Après un petit somme on arrête le bus au début d’un sentier de randonnée. La longue et épuisante marche commence. Au cours de quoi, je constate que j’ai vraiment horreur des personnes spéciales. J’en deviens têtu. Et vous me connaissez sur ce point-là ! Mais elle me dit qu’il y en a bel et bien. L’ambiance en devient tendue. Les mauvais débats subsistent. Mais au fait, y en aurait-il vraiment des personnes spéciales ? Aux yeux de certains ? Et c’est quoi être spécial au juste ? Qui en est le juge ? Mais le plus dérangeant dans tout cela est que c’est mal partit pour bien s’entendre. Je la trouve hautaine et même égoïste. Un exemple. J’attends toujours pour qu’elle prenne une photo. Par respect. Mais ce n’a pas été le cas le soir au village. Même si ce n’est pas gagné, je vais essayer de ne pas la juger et lors d’un (premier) malentendu. En fin de journée, on passe par un passage très étroit. Mais pas aussi effrayant que m’ont raconté le couple français. Puis on se perd. Après bien des efforts, on arrive enfin à rejoindre à nouveau le chemin de l’application. Sans relâcher ce qu’on venait de perdre, le chemin passe droit sur une colline bien abrupte. Sous ma proposition, on longe la colline par la gauche. Mais on s’écarte du chemin. Même si je m’obstine par cette direction - je pense qu’après chaque virage on trouvera notre destination -, je cède finalement à sa proposition qui est de rebrousser chemin puis de suivre au mètre près le chemin de l’application. Et ça me saoule. Mais après quelques dizaines de minutes, je comprends que c’est au final le bon chemin à suivre. On grimpe ainsi la pente la plus épuisante de ma vie jusqu’au village de destination. Après cette journée de randonnée et de tension, vaut mieux faire un reset cette nuit et repartir de bon pied afin de profiter un maximum de cette sortie montagnarde. Puisque demain est une nouvelle et dernière journée de randonnée avant de rentrer à l’auberge familiale. Enfin, sans elle et non pas avec comme on se l’était dit il y a quelques jours.
Ok. Reset. Ok. Le jour se lève, on démarre sur de bonnes bases. On débute la marche. Mais à peine sortit du village nous nous prenons à nouveau la tête – ou peut-être juste moi qui sait. Pourquoi ? Alors que nous sommes à une dizaine de mètres (vingt au maximum) du chemin indiqué sur notre application smartphone, elle veut absolument revenir en arrière et suivre - malheureusement et bêtement à mes yeux – méticuleusement le chemin numérique. Et ce au mètre près. Quand bien même, une courte traversée du seul champ suffisait, nous faisons un détour de 15 minutes via le village, le point de départ. Je prends sur moi. Par contre une chose est claire. Je compte bien visiter le Salar d’Uyuni seul. Passant à côté du champ, je reconnais l’endroit où nous avons fait demi-tour. Une petite minute aurait suffi pour la traverser. Et depuis, je décide fermement de regagner mon silence habituel lors du pouce levé. Je parle davantage à moi-même lors d’une attente en stop qu’au cours de cette seconde journée accompagnée de cette russe. Le reste dans ma tête résume donc à : On emprunte le chemin de l’appli. à cinq mètres près et de façon objective, qualitative et effective, sans détour et sans humour. Cette journée de randonnée accompagnée où le but était l’évasion dans la nature bolivienne, s’est transformé en long et socialement pénible retour vers ma tranquille petite auberge familiale. On termine pourtant bien la journée en stop. Debout à l’arrière d’un camion comme je les aime. Par contre, au détour du camion, elle ne dit plus rien. Bon. Je comprends que sa fatigue a pris le dessus. Un conseil : Si ce n’est pas une escapade romanesque, partez entre potes. Ne vous emmerdez pas !
De retour à l’auberge on raconte plein de choses à dire au couple français qui nous ont conseillé cette balade de deux jours. Le mec me raconte qu’il aime ce que j’écris dans mon blog et s’y retrouve. C’est la première fois que j’entends cela de la part d’un frère voyageur - et je pèse mes mots. Je ne vous cache pas que c’est un commentaire assez spécial (avis subjectif) et très réjouissant. C’est sûrement la première fois que je me sens respecté dans ce que je fais à ma juste valeur. Avec l’aubergiste, on forme une sorte de petite famille. C’est certainement le fait d’être allé tous ensemble à la messe qui me donne cette idée. En plus du luxe de vie privée, je vis un bon repos. J’ai même envie de rester en tant que volontaire. Mais au-delà de cela, je veux rejoindre ma sœur pour la fin d’année !
Je vais tout de même au cybercafé le lendemain. À force de rien foutre, j’ai le mal du pays. Mes habitudes me manquent terriblement. Ma famille, mes amis, mon jeu, la course, le travail, la routine citadine. Je repense donc souvent au retour. Pourtant, je sais qu’il est encore trop top. Trop top pour reprendre un nouveau départ, une nouvelle vie. Par contre, je suis certainement resté assez longtemps dans cette capitale. Il est temps de reprendre la route. Le week-end a assez duré. Il faut que je reparte travailler pour mon propre bien - je ne pensais pas dire cela sous cette forme un jour. D’un autre côté, je n’ai pas envie. Et ça tout le monde connaît. Les grâces-mat’ et les vidéos me plaisent. Mais la semaine m’appelle. Je n’ai pas envie de devenir un hippie ou un voyageur jonglant d’auberges en sites touristiques. Je veux retrouver MA route. Ce sentiment de continuité, tant sur le plan géographique que spirituel. Le bateau Hollander voyageur a besoin de quitter l'accalmie du port afin de retrouver vagues, vents et marées. Retrouver le personnage vagabond qui se confronte, comme tout un chacun, à sa problématique causant le départ. J’espère apprendre de mes erreurs et du temps qui passe. Et pour cela, l’activité productive est nécessaire. Il faut se sortir les doigts du cul, remonter l’ancre et avancer !
Voyages arides
WEEK-END PROLONGÉ D’UYUNI
Au lieu de revenir sur Tupiza, je décide d’aller à Uyuni pour traverser ce désert. Non pas pour rejoindre la russe, mais pour passer directement au Chili après le tour. J’apprendrai plus tard qu’elle est finalement allée à Tupiza. Elle a étonnement changé de ville de départ en écoutant mon avis. Et moi la sienne d’ailleurs. C’est allongé au soleil à l’arrière d’une camionnette en stop que je me dirige vers cette ville touristique. Et c’est en faisant un petit somme, comme les 2-3 autres stoppeurs locaux, que j’attrape un foutu coup de soleil. À Potosi je recommence le stop puis à partir d’un tout petit village avec une toute petite église. Tellement petite que je dois m’accroupir pour passer la porte. Il me suffit même de sauter pour pouvoir toucher clocher.
En descendant, j’arrive à Uyuni en apercevant à peine le désert de sel dans fond obscurci de la nuit. Une grande plaque blanche. Il est tard. Je suis bien fatigué et lassé de partir à la recherche d’une auberge. Mais en moins de quinze minutes, je trouve une place pour un tour de trois jours (me laissant à la frontière chilienne) et une auberge pas chère. La dame de l’agence me garantit même que je partirai avec trois hollandaises et deux brésiliennes ! J’ai oublié ma veste à la capitale ce matin... Mais la seconde bonne nouvelle est qu’une belge de cette même auberge arrive le lendemain matin en bus, et avant le début du tour, avec mon oubli. Heureusement que j’ai réussis à contacter le couple français pour arranger ça, avant que cette jeune wallonne ne parte pour le bus de nuit !
Ma première activité touristique commence !
J1 touristique -- Le départ prend du temps. Elle est en retard. Après avoir récupéré mes affaires, la dame de l’agence passe me chercher pour, au final, me faire poireauter avec quatre lyonnais. J’apprends que je ne serais pas accompagné de ces cinq belles prétendues mais d’un groupe de potes, un peu racailles sur les bords. Je ne vous cache pas ma déception. Cela n’empêche qu’on sympathise en attendant un couple d’argentins. Quelques retrouvailles françaises avant de vagabonder seul à nouveaux de village en village ne me fait pas de mal. On part donc avec deux heures de retards. Mais ce temps nous a également permis de s’impatienter et de critiquer l’agence. Au réel départ, nous sommes un tas de touristes en 4x4 qui filent tous tout droit vers la même direction. On doit être une centaine de véhicules. Mais ce ne me dérange pas. Après tout, c’est ma toute première activité touristique en six mois de voyage ! Il y aura d’autres journées plus tranquilles, rustiques et culturelles. Aucun souci à se faire de ce côté-là avec le stop. Aujourd’hui, pas de spot à chercher, de voiture à solliciter, de lieu où crécher, de repas rentable à décider. Tout est payé ! Il n’y a plus qu’à se laisse aller et à s’éclater ! Tout comme mon portefeuille d’ailleurs…
On commence par des trains abandonnés - peu intéressant à mes yeux - avant d’entrer dans le désert. Une fois entrée, ça devient enfin subjuguant ! Après un arrêt au resto-hôtel de sel, on se dirige vers une sorte de minuscule île sortant de terre et entourée du désert de sel. C’est impressionnant ! Pour éviter de payer l’entrée additionnelle - qui devrait être inclue dans le tour -, on contourne un peu par la gauche avant de grimper jusqu’à la piste touristique. Une fois en haut de cette dernière, on admire un panorama à 360° sur ce magnifique Salar (désert de sel). Après le coucher de soleil en plein Salar, on rentre dans la même auberge (où j’ai également dormi la veille) à Uyuni et non pas au milieu du désert contrairement à ce qui était prévue. L’accès est apparemment “impraticable”. Notre avis à tous est que le rendement de cet hôtel n’est pas praticable… On a également dû se chercher à manger pour 20 pauvres bolivianos. C’est tout juste potable pour trouver quelque chose. Finalement, il n’est pas de tout confort ce tour touristique... Mais je vous rassure que je ne suis pas le plus mécontent dans le groupe. Toutefois, la journée se solde avec un jeu de carte, un bon vieux Président, et avec de l’alcool, bière (pour ma part) et vodka. L’ambiance française, des ragots et des délires dont j’ai perdu l’habitude, me font du bien. J'apprécie longuement ce moment.
J2 touristique -- Tout est économique. Du prix au contenu. Le lendemain matin, on reçoit un petit-déjeuner frugal. Un pain accompagné d’un peu de confiture et d’une boisson chaude. De quoi avoir faim une fois finit. Très loin du all-inclusive. Après une longue route, on visite une série de lagons et de flamands roses. La fin est un peu speed puisqu’on risque de ne pas voir le rouge d’un des lacs. Malgré ça, on s’arrête tout de même pour aider un groupe de 4x4 en panne de batterie. On ne va pas le laisser en plein milieu du désert tout même. On s’arrête une nouvelle fois pour un arbre en pierre. À peine sorti pour une photo, on remonte en voiture. Le chauffeur fonce. Mais au vu de la hauteur du soleil, les espoirs du lagon rouge se perdent. Étonnement, on arrive tout juste à temps. Le lagon est encore rouge - elle apparaît mieux sur photo à vrai dire. C’est apparemment dû aux cristaux au fond de l’eau. Par ailleurs, je remarque que durant ce tour, je ne réfléchis plus comme je le fais en stop. D’un côté, c’est reposant ; je n’ai plus besoin de me tracasser, d’être constamment à la recherche d’un lieu où dormir ou où faire du stop. Néanmoins, je ne réfléchis plus de façon intéressante. Je ne fais plus que décrire. Avec le recul, je constate qu’il est bon d’avoir des temps plus calme, comme un temps contemplatif. Ce qui est certain, c’est que je ne me sens plus dans mon trip. C’est comme une pause ou un week-end prolongé après un repos à la capitale. J’irai presque dire que mes préoccupations (recherche d’hébergement, de spot pour stop, etc.) me manquent. Vivement que je retrouve mes villages, mes nationales, MA ROUTE !
J3 touristique -- On se lève très tôt, 4h30. C’est parti pour les geysers. C’est marrant, c’est chouette ! La pression de la vapeur est intense et l’odeur sent l’œuf. L’attraction suivante est une source thermale naturelle en extérieur à plusieurs milliers de mètres d’altitude. Certains parmi le groupe font trempette dont moi, d’autres s’abstiennent. Pas parce qu’ils sont pudiques mais tout simplement parce qu’il c’est encore payant. Et oui, surprise-surprise… On finit le tour par des lagons verts et blancs qui en réalité ne ressemblent qu’à de simples lacs mi-gelés. Me déposant à la frontière, ils repartent pour Uyuni. Tandis que moi, je reçois mon tampon assez rapidement. Je tente de faire du stop à cette frontière. Mais il n’y a que des 4x4 et des bus de touristes. Aucun local, aucune voiture normale. Je paye alors une navette pour Pedro de Atacama. Ça doit être mon sixième bus du voyage, à l’exception des transports en commun pour sortir des grandes villes. C’est avec un peu de stress que j’entre au Chili. J’en suis à mon vingtième pays de passage. Après tant de temps, à quoi bon compter ? D’ailleurs, je ne me suis toujours pas habitué au camping sauvage. Ce n’est pas pour moi. Je suis comme ça.
COURT PASSAGE CHILIEN
La différence avec la Bolivie se fait ressentir. Déjà financièrement. Mais surtout topographiquement parlant. Auparavant, j’étais uniquement dans les montagnes. Désormais, je passe de plateau en plateau en traversant une petite chaîne de montagne. Un des conducteurs me raconte que durant sa jeunesse, il faisait partie de la sélection nationale de football bolivien. Aujourd’hui, il s’est expatrié dans une usine de chimie chilienne en tant qu’opérateur. Chez nous, on sait que ce genre de situation n’est pas d’actualité. Puis, un bus de service m’emmène. C’est assez atypique. Au côté du gentil chauffeur comme lors d’autres moments, un trou se creuse dans mon cœur. Oui, mes proches me manquent. J’ai besoin d’affection et c’est pénible.
Je passe ma première nuit dans ce pays dans un camping. Une seconde nuit ne sera pas possible ici. Et je ne compte pas payé d’auberge non plus. La vie est bien trop chère au Chili. Je repars donc le lendemain matin. De voiture en voiture et même en bus commercial. Il est rare qu’eux s’arrêtent pour un petit stoppeur comme moi. Arrivé en fin de journée dans une nouvelle ville, lorsqu’il me faut trouver un lieu où crécher, je repense au breton rencontré en Iran. Lui dormait de temps à autre chez les pompiers. Je n’ai jamais encore essayé. Mais pour l’instant, je préfère solliciter une église tout d’abord. Alors que l’une est fermée, l’autre me renvoie. Je me résous à demander aux pompiers. Je demande à un pompier qui par chance marche dans la rue. Mais, il dit que c’est impossible. Décidé, je sonne tout de même à la caserne. Le culot et la ténacité - ou plutôt l’entêtement me concernant - ont payé ! Deux femmes tenant la garde à la caserne, me prête même deux matelas en mousse pour l’intérieur de ma tente. Je reste discuter quelques heures avant d’aller me coucher. C’est super !
Je réalise qu’il est primordial de tenter, d’essayer. Toujours demander directement au responsable et ne jamais se laisser décourager. Un peu d’instance en tout respect ne causera aucun tort. Par expérience, je dirai qu’on a plus de chance de réussite que d’échec. Mais il faut être avisé et honnête : Solliciter la personne détenant l’autorité du lieu ; faire comprendre son réel besoin avec humilité. Si ce n’est pas le responsable, ils esquiveront par manque d’autorité. Quand bien-même ils peuvent vous renvoyer, ils peuvent aussi vous faire patienter ou trouver une alternative. En tout cas, j’y passe une nuit superbe. Cela me donne assez de force et de chance pour arriver directement au Pérou le lendemain soir.
ENTRÉE AU PÉROU
A la ville frontière péruvienne, je sollicite une église. Celle-ci refuse, mais ne me laisse pas sans rien. Ils me payent un taxi vers une autre église qui compte un centre d’hébergement pour réfugiés. Je peux y dormir pour 80 centimes d’euros la nuit seulement. C’est la règle. Par contre, je n’ai jamais été autant contrôlé de ma vie. Empreintes, règlement intérieur et fouille de mes affaires. C’est assez strict. Mais cette nécessité, aux yeux des officiels, est sans aucun doute acceptable pour de réels migrants. Le repas du soir est assez simple, la douche peu chaude. Tout est au minimum. Mais, tout est suffisant. C’est tout de même incroyable. Même en faisant la manche, l’argent pour une nuit doit être trouvé sans trop de difficultés. Par contre, une personne ne peut y rester qu’une seule semaine maximum. Par contre, je suis embarrassé. C’est bien la première fois que j’ai honte de ma couleur de peau, ce qu’elle reflète à leurs yeux. Ou plutôt honte de mon niveau social. C'est-à-dire que je suis dans la même situation qu’eux, un sans domicile, par choix et non par conséquence. J’ai décidé de voyager en stop tandis qu’eux n’ont pas eu ce luxe. Ils doivent certainement se demander si j’ai réellement besoin cette aide. Et tenter de faire abstraction ne m’aide pas. Ils ne cherchent pas à faire moins chers. Ils ont besoin d’aide. Et je le vois. Rien qu’être avec eux, des familles nombreuses qui se contentent du minimum, me permet de le savoir. Cette sobriété à laquelle je me suis habitué à travers mon type de voyage est la seule chose qu’ont ces enfants. Bien plus précaire que moi, ils n’ont pas cet argent mis de côté avant d’en regagner aisément une fois épuisée. Ils n’ont ni diplôme, ni connaissance aisée, ni argent mis de côté. Et je prétends demander la même aide qu’eux ? Ponctuellement, oui je le pense. Nous sommes tous humains et pour ce soir-là, je n’ai besoin que d’un toit. La nourriture est un plus. Mais la cause est différente. Eux n’ont pas choisi cette vie, réfugié, qui les a mené dans cette église. C’est en cela qu’ils sont bien plus nomades que moi. Je reste un voyageur et eux des migrants certainement. Et c’est ainsi que je réalise mon malaise. J’avais en tête de rester une nuit de plus pour visiter et me relaxer, mais ce serait profiter de la situation et ne fera qu’accroitre mon malaise. Sur le départ le lendemain, la communauté ne me demande pas de payer puisque je ne suis resté qu’une seule nuit. C’est la même règle pour tous. Et ça me touche qu’ils me considèrent, malgré la différence de niveau de sociale, autant que les autres migrants. Sans jugement. Je rêve d’un jour où les organisations destinées aux plus riches puissent être tout aussi juste envers les autres niveaux sociaux comme l’a été ce centre pour réfugiés envers un européen possédant des économies pour plus d’un an.
En me levant, j’obtiens une réponse pour une traversée du Pacifique via le site CrewBay. Mais c’est une opportunité étalée sur 2-3 ans du Panama à l’Asie. En plus de cela, il me propose de le rejoindre au Canada pour apprendre à plonger et autres. Mais cela signifie qu’il me faudra oublier l’Equateur et la Colombie. Bien que ce soit une excuse, je ne peux que refuser. En réalité, je ne me vois pas rentrer en Europe pour 2025… Par ailleurs, je réalise qu’il vaut mieux contacter une école au Japon une fois la date d’arrivée sur le continent asiatique connue.
J’attends quelques heures avant de trouver une voiture qui me tirera hors de cette sortie de ville remplie de monde. Pas facile à y faire du stop, mais on réussit toujours. Sur le chemin, un type me donne trois maïs cuits sans raison. En les ouvrants, je note qu’ils se transforment en une espèce de brioche après cuisson. Arrivé dans une petite ville, un local m’aide à trouver un lieu où crécher. Mais personne ne m’accueille : ni la police à cause des lois, ni la municipalité à cause des caméras, ni l’église car elle fermée… Du coup, il m’héberge chez lui.
Le lendemain je rencontre Juan Carlos. Il est l’une des multiples personnes qui m’emmène simplement en stop. Si c’est bien la première fois que j’identifie quelqu’un c’est parce qu’il insiste. Le jour où j’écrirai peut-être un livre, il souhaite que son nom y apparaisse… Au moins, il figure déjà dans un post de mon blog. Même s’il y a peu de gens qui s’y intéresse, c’est déjà ça. Par chance, il le lira un jour à l’aide d’un outil de traduction.
BELLE AREQUIPA
J’arrive à une ville bien connue des touristes, voyageurs et vacanciers. Je pars à la recherche d’une auberge pour y rester quelques jours. Mais après une ou deux heures de recherche, je reviens à l’une des premières que j’ai visitée. Elle est propre et tranquille. Après un bon repas au resto et une bonne douche, je grignote devant un animé jusqu’environ 2h du mat’. C’est toujours un plaisir de retrouver un semblant d’habitude.
Je commence cette journée en allant à la messe du matin, mais avec une heure d’avance. J’ai oublié de m’ajuster au bon fuseau horaire. Et vu que midi approche, je me paye une bonne ‘glace italienne’ pour cinquante centimes d’euros dans un supermarché situé à la place centrale. Puis le soir, je retourne au même restaurant que la veille. Pour à peine sept sol soit environ 2€30, je choisis le Super-menu comprenant une entrée - j’ai choisi la soupe -, un plat principal - riz poulet comme partout - et un réfresco, une petite boisson non choisie. Il n’y a pas de quoi se plaindre. Surtout que ce soir-là, un groupe célèbre l’anniversaire de quelqu’un. Humblement, j’accepte une part de gâteau comme dessert. Le goût n’est pas fou. Mais, le geste est spécialement appréciable. La bonté a du goût. Ce n’est pas courant, mais j’étends mon séjour d’une nuit. J’aime vraiment cette ville, son auberge, son resto… et sa glace.
Et rebelote, je sors la journée suivante pour acheter une glace et de quoi grignoter. Le soir après le resto, je comprends par des recherches sur internet que joindre Cuba en bateau s’annonce difficile. Notamment qu’il ne me reste plus que trois mois avec encore une telle distance à parcourir. Et désormais, on a planifié avec ma sœur de se rejoindre à La Havane, capitale de Cuba, pour fin novembre 2018. Je dois m’informer davantage et j’accélère le pas.
PETITE VALLÉE
Je parais souvent plus âgé aux yeux des autres. Mais la trentaine au lieu de 24… tout de même. Laisser pousser mes cheveux et ma barbe me vieillit tant que ça ? Généralement, je stoppe des voitures et des camions. Mais dernièrement, je monte aussi en bus commercial, ‘collectivos’ et en moto. Et même en taxi !
Une fois monté dans la vallée, je demande plus de détails à une famille autrichienne qui a voyagé en Afrique pour plus d’un an avec leurs enfants. J’ai toujours été sceptique à de tels voyages familiaux. Je me demande aussi pourquoi je m’intéresse si souvent à la durée de voyage des personnes que je rencontre. Est-ce par simple intérêt ? Si oui, qu’est-ce qui m’y pousse ? Ou alors, serait-ce par orgueil afin que je puisse m’y comparer ? En posant la question, j’espère peut-être au fond de moi qu’ils me rétorquent « Et toi ? ». Ainsi, je pourrais leur afficher mon grand tableau de voyage prestigieux, les longs mois partis et les nombreux de pays ‘visités’. Pourtant, je le demandais très souvent peu après mon départ. Il est clair que c’était bien par curiosité. Mais à ce jour, je dois avouer qu’il y a une once d’orgueil qui s’est installée.
En fin de journée, je viens à la messe dans cette église de village en pleine campagne montagnarde péruvienne. À Cabanaconde. C’est la première fois que j’assiste à une messe où l'eucharistie est exclusivement réservée au prêtre. Par ma sollicitation, il m’invite à dormir dans un petit dortoir comportant une dizaine de lit superposé. Cet homme est très gentil et son presbytère très simple. Le lendemain est une sacrée aventure. Faire du stop dans les montagnes est assez surprenant. Je suis loin de tout et les voitures se font rares. L’avancée devient lente et incertaine. Ça pimente le jeu. J’apprécie ce risque mais à petite dose. C’est pourquoi je reviens rapidement sur la longue et fameuse Panamericana. Ce soir là, je redors une nouvelle fois dans une église recommandée par le prêtre de la nuit précédente. Mais pour y parvenir c’est un taxi qui accepte gentiment de m'y emmener gratos. Tandis que les autres automobilistes, je les vois tous rouler dans la peur. Du moins, c’est comme ce l’aperçoit. Une fois arrivé, j’ai le droit à une chambre et une salle de bain privée. Wow !
RETROUVAILLES
Après sept mois, je réussis enfin à contacter mon ami avec qui je donne un rendez-vous précis. Direction Nasca et ses lignes non élucidées. D’ailleurs, l’auto-stop continue toujours à m’étonner. À Camana, je tente d’arrache-pied pendant plusieurs heures de stopper une voiture. Et ce ne sont pas de mauvais spots ! Je ne suis pas sûr de pouvoir retrouver mon pote comme prévu. Mais la confiance chanceuse est la clé de tout voyage. Ça ira je me dis ! L’espoir permet le rassemblement. En quête d’un spot qui fera la différence, une Xième file de voiture passe. Et je suis fatigué de cette peur, que je ressens de la part des automobilistes lorsque je lève le pouce, spécifiquement chez les péruviens. Pourquoi uniquement eux en Amérique de sud - jusqu’à présent - et au Chili ou en Bolivie ? D’où vient cette méfiance ? À force j’en deviens énervé. Soudain, je tourne le dos à la venue d’un camion. Ce n’est même pas la peine de solliciter un camionneur. C’est déjà difficile pour qu’une simple voiture s’arrête. Alors un camion sur une nationale à moitié saturée ? Ça ne vaut pas la peine d’essayer. Et puis, c’est même dangereux tandis qu’il n’y a aucune place d’arrêt pour un camion. Mais contre toutes attentes, je le vois freiner en plein milieu du tournant. Il me parait tellement improbable qu’il s’arrête pour moi que je n’y crois pas. Mais j’accours malgré tout, en espérant que cela me concerne. Et en effet, je monte dans le camion. Il m’emmène toute la journée à vrai dire. Même sans avoir levé le pouce, il s’est arrêté pour moi. Il y a toujours des personnes incroyables. Sur la route, on s‘arrête pour le petit-déjeuner. Le second en ce qui me concerne. Par contre, la caissière se trompe en me rendant les pièces. Après rectification, je me demande bien si ma couleur de peau n’a pas joué dans l’histoire. Oubli ou opportunisme ? Est-elle surmenée ce matin, moment d’inattention ou se pourrait-il qu’elle mise sur le fait que je sois un ‘gringo’ ?
Ces deux heures d’attente durant la matinée sont finalement rentabilisées. Mais il s’arrête plusieurs kilomètres avant. Je craque alors pour la première fois et me paye un taxi afin de joindre le centre-ville à temps. Ça m’économise 5km de marche. Et c’est dans un parc que j’aperçois mon ami. Ça fait maintenant 3 ans qu’il voyage sans budget. Comme à son habitude, il va faire un peu de musique dans un petit restaurant avec sa copine pour gagner de l’argent. Et ça marche plutôt bien en réalité. En 15 minutes, ils ont payé leur chambre d’auberge. La moins chère qu’il soit bien sûr. Cette nuit-là, je boirai ma première bière avec un ami connu au lycée. Ça fait longtemps que ce n’est pas arrivé. Et au petit matin, il me donne l’idée de passer par la Guyane afin de joindre Cuba. De plus, je pourrais rejoindre un autre bon ami qui y habite ! Cela m’évitera la Colombie… Dommage, c’est le pays dont j’ai entendu le plus de bien de ce continent du sud. Apparemment, le port de Carthagène serait difficile d’accès et donc est difficile à stopper les bateaux, à faire du bateau-stop. Je sais que ça peut être très chiant (cf. à Dubai). Let’s go ! Ce changement de plan est pas mal. Ça me plait ! De plus, je pourrais traverser l’Amazonie. En quittant la ville, je m’arrête à un observatoire pour voir ces fameuses lignes, dessins, représentations. Deux policiers m’aident d’ailleurs à avancer. Pas de lignes continuent, ni de limite de vitesse. Mais le pire, c’est qu’ils s’arrêtent de temps à autre pour capturer pour leur jeu Pokémon Go… Ça me scie le fion !
Sous les conseils de mon ami, je me rends à Huacachina. C’est une petite oasis entourée de quelques accommodations. Il y a même fait du sandboarding. Mais seul, ça ne me motive pas. Je préfère chiller. On ne va tout de même pas trop changer nos habitudes. Plus tard, je rêve de ce temps grisâtre mais réchauffé à l’intérieur ; de cette pluie et d’un ciel pas joli ; de cette ville à température refroidie. Je rêve de ce « bas pays qui est le mieux ». Ah, Amsterdam en famille. Quelle nostalgie…
Changement de cap
CAPITALE
Sur la route vers la capitale, on s’arrête le long de la Panamericana à un magasin d’alcool - et de Pisco -, on me dépose à Lima. Je leur demande de me déposer près d’un marché pas trop cher. Et me voici à La Victoria, un quartier dit peu sûr de Lima. Après quelques petits achats, je sollicite une église Adventiste. Mais finalement, elle ne pourra pas m’héberger pour la nuit. Et la dame en m’accueillant, très étonnée de me voir dans ce quartier-là, me dit : « It’s dangerous here. Somebody got shot just yesterday morning ». Ça doit bien plus dangereux alors pour un petit gringo à sac à dos. En effet, les biens que les personnes transportent sont synonymes de richesse pour certains… Autant vous dire que je dois figurer comme cible prioritaire à voler si des personnes malintentionnées me voient. Après une heure d’attente à cette église, elle appelle un taxi qu’il me faut payer au final. En marchant aux alentours, je reste constamment sur mes gardes.
Je commence à faire très attention : J’évite le plus de personnes possible en restant discret ; je vérifie à tout instant qui se trouve devant, à droite, à gauche et derrière moi ; j’analyse brièvement chaque ruelle et quartiers vers lesquels je me dirige ; j’évite au maximum de sortir mon téléphone mais grâce auquel je m’oriente également ; j’observe chaque personne m’ayant aperçue afin d’anticiper une possible agression. Mais je suis une route séparant différents quartiers. Route dont l’environnement devient de plus en plus délabré. Lorsque soudain en tournant à droite vers un quartier, je n’arrive plus à avancer. Son ambiance est certes tout aussi sombre et sale. Mais elle devient aussi étrangement silencieuse. Je m’arrête quelques instants pour mieux observer autour de moi. Tout le monde ressemble à des sans-abris. On y confond stands et poubelles, voitures et carcasses, habitats et immeubles abandonnés. Autant vous dire que je ne suis pas très à l’aise avec ce gros sac à dos et ma couleur de peau. À ce même instant d’arrêt, je me rappelle que j’ai eu ce même et unique sentiment de retenue lors de mon premier mois de voyage. Ce même sentiment dans les Alpes suisse, au lac Walensee, de non-retour. Pour plus de détails, je vous invite à (re)lire mon post « Les Alpes germaniques ». À cet instant près de La Victoria, je sentais qu’en tournant à droite vers ce quartier pauvre, quelque chose pourrait m’arriver. Je n’ai surtout pas paniqué. Je décide de plutôt continuer à marcher vers la rue où je le sens le mieux sans avoir l’air d’être totalement perdu. Je me concentre donc un maximum pour gérer à la fois l’observation de mon environnement, mon itinéraire et ma discrétion. À force d’avancer je commence à me repérer et trouve un hôtel plus ou moins proche de ma position. C’est donc au milieu d’un marché le long des rails du métro que je décide de m’arrêter. L’hôtel se trouve dans une banlieue malfamée de Lima. Ça ressemble assez bien aux films d’espions hollywoodiens. Après qu’il m’est ouvert le portail en métal, je paye une chambre au concierge protégé par un comptoir à barreaux et quelques caméras. À l’étage, la chambre est simple et miteuse. Mais après une telle journée, je prends un bon repos.
Le lendemain matin, quelqu’un m’aide pour le métro puisqu’une carte magnétique est nécessaire. À peine entrée, je compte déjà sortir de la capitale de la même façon qu’à Téhéran (voir le post « L’enclave perse »). Mais je reviens finalement au point de départ, puisque ça ne m’emmène nulle part. Mais ça reste tout de même marrant de passer au-dessus de la ville et de ses immeubles. Avec cette ambiance de mégalopole, je me crois déjà au Japon. À la recherche d’un bus sortant de la capitale, un prêtre évangélique m’aide et m’accompagne jusqu’à la Panamericana d’où je prendrai un autre bus me permettant enfin de joindre le nord de Lima.
UNE AUTRE PETITE VALLÉE
Je reprends le cours de ma vie d’aventurier. Après m’avoir emmené en stop, un type m’invite également chez lui pour le déjeuner. Puis, il me paye un ticket de bus pour Paramonga. Une fois arrivé, je sollicite une église pour la nuit. Celle-ci hésite. En insistant un peu, le prêtre accepte. Il m’explique que cela est dû à un récent vol. Comme tant d’autres automobilistes péruviens, les gens ont peur. Je trouve tout de même admirable que leur bonté prend le dessus malgré le vol. Une fois là-bas, ils sont adorables. Il m’accueille avec une soupe et un café. Puis, j’accompagne le prêtre dans la cour de l’hôpital pour la messe du soir. Que c’est magnifique que de voir tous ces locaux sur leur 31. C’est un chouette moment. En effet, rien de mieux qu’un rassemblement après une longue journée d’auto-stop en solitaire.
Le lendemain, je repars direction la montagne. Je repasse au-dessus des 3000 mètres. En attendant avec le pouce levé, des petits curieux péruviens me posent quelques questions. Et ça commence avec l’argent. Leurs questions ne sont pas mauvaises en soi. Néanmoins, qu’elles soient posées avant même de connaître mon nom transparaît bien l’intérêt corrompu de leurs cœurs. En d’autres termes, ils sont avant tout intéressés par ce que j’ai. Puis éventuellement, par qui je suis. Pourquoi cela ? En réalité, moi-même je juge autrui sur leur physique avant même de m’interroger sur leur personnalité. Cet ordre est d’autant plus vrai lorsque la différence de possession s’accroît, non ? Serait-ce de la jalousie ? Qu’en est-il de moi ? N’oublions pas que l’injustice amène aussi l’orgueilleux. Mais avec de la sagesse et de l’humilité on arrive tant bien que mal à se soigner moralement et spirituellement. Un peu d’introspection, d’exercice spirituel et intellectuel, ne serait pas de trop. Bien entendu que la justice sociale est nécessaire. Surtout avec notre folle consommation autodestructrice moderne. Mais, je me focalise sur la rencontre. Et lorsqu’elles sont plus justes, elles apporteront plus de tendresse, moins d’incompréhension, un monde meilleur. La justice ne peut-être que si l’on commence à y contribuer. Mais dans cette vallée péruvienne, j’aperçois avec tristesse les enfants jouent avec de l’argent et les adultes s’exaspèrent de l’arrivé des migrants vénézuéliens au Pérou. Et vous connaissez sans doute leurs craintes et leurs revendications. Je ne sais pas grand-chose au sujet du Venezuela. J’ai entendu de la part d’un voyageur à vélo rencontré à Buenos Aires que les supermarchés là-bas sont tout simplement vides. L’argent n’est même pas nécessaire, puisqu’il n’y a rien à acheter. Pas de riz, pas de pâtes, rien. Comment vivre ? Y rester ? Se mobiliser pour changer son pays lorsque ses parents ouvriers et ses enfants ne s’en sortent ? Et ne pensez même pas aux frais d'hôpitaux et d’études. Alors quoi ? Crever « pour le plaisir » en criant « Vive Herbert Léonard ! » ? Bon, on va s’arrêter là. Par une pertinente remarque, je réalise que je juge et conclu bien vite. Tout le monde peut se tromper. Et notamment par ses émotions. Ce passage peut être un bon exemple. Soyons sceptiques, affûtons notre esprit critique ! Et ensemble, avançons.
Le soir je tombe sur une église vide puis, sur une autre mais fermée. Mais je ne compte pas abandonner. La troisième compte une immense cour. Même pour la campagne, cela me semble démesuré. Comme d’habitude, j’avance et demande prudemment à la personne qui me semble être la plus responsable. Elle s’appelle Soa. Et je suis frappé par sa réponse. Sans réfléchir, sans demande de confirmation, sans une once d’hésitation, sans aucune appréhension, mais très spontanément, elle me répond que oui. Bien sûr, cela tombe sous le sens pour elle. Mais pour moi, sa réaction me parait follement rapide et naturelle. J’apprends que cette paroisse fait partie d’une grande communauté de missionnaires italiens. Les jeunes de la vallée ont ici une école à travailler le bois, une autre à sculpture et une coopérative de tout ce qui y est fabriqué. Une belle économie locale. Je suis invité à dîner avec eux. Contrairement à ma réflexion précédente, la paroisse qui m’héberge a beaucoup de biens. Pourtant, la responsable péruvienne a été gentille et sans appréhension. Je dors ce soir très confortablement après un dîner propre, simple et tout juste suffisant.
Après un excellent repos, tant physique que moral, je monte dans un taxi… sans le savoir. Sur un long, impressionnant et somptueux chemin à travers les montagnes, je divague. Qu’est-ce qui fait d’un auto-stoppeur un auto-stoppeur ? Si c’est un collectivo ou un taxi qui s’arrête ? Ben non, car il s’arrête en attente de payement. Le stop nécessite une absence d’argent ? Non plus, je pense. Car selon la coutume, comme en Iran, on contribue à l’essence. Et le chauffeur, comme pour l’auto-stop, ne change normalement pas son trajet. Vous montez et vous descendez le long du trajet. Ce n’est ni un taxi, ni du stop tel qu’il est vu par les occidentaux. On peut appeler ça du covoiturage-stop. Dans mon cas, un auto-stoppeur peut toujours anticiper en demandant d’être transporté sans compensation financière. Mais au final, je me demande ce qu’est alors le stop ? Quels en sont ses tenants ? Le chauffeur de taxi avec qui je suis monté s’est empressé de s’arrêter en voyant un gringo gesticulé au bord de la route. Comme pour ce monsieur, il n’est pas toujours très clair que le petit blanc levant son pouce au bord de la route fait bien du stop. S’il ne demande pas de façon plus directe, il risque d’être surpris à l’arrivée par un montant à payer. Or, s’il précise qu’il n’est qu’un muchilero (voyageur à sac à dos) qui cherche un transport gratuit et non un gringo (étasunien comme tous les autres touristes blancs de toutes façons), le chauffeur de taxi réfléchira. Rare sont ceux qui acceptent ce changement soudain du très rentable au charitable. À ce moment précis, nous sommes dans l’auto-stop puisque l’opportunité faire du biff sur le dos du touriste niais est remplacé par une requête gratuite. Durant cet instant, le taxi n’est plus. L’auto-stoppeur s’adresse à l’homme derrière son rôle de chauffeur. Et cet exemple est similaire à celle d’Iran. Or au pays perse, beaucoup d’hommes ont accepté l’absence de contribution. Certains, acceptent avec plus ou moins d’insistance, certains redémarrent en vous rigolant au nez comme en Géorgie, il y en a qui partent sans rien dire et d’autres refusent avec politesse. L’auto-stop est un principe d'entraide. Et comme tout sujet d'entraide, la finance est liée.
Le dernier chauffeur de la journée, me demande les prénoms de mes ex-copines. C’est amusant et surprenant. Il y a toujours de la nouveauté en voyageant. Qu’importe la durée. Le soir après la messe, le prêtre accepte que je dorme dans l’église. Enfin quelqu’un qui m’offre le juste nécessaire : le sol d’une pièce annexe de l’église.
DESCENTE ET REMONTÉE
Je redescends (ce qui signifie rejoindre la Panamericana qui se trouve au niveau de la mer) afin d’avancer plus rapidement. En effet, j’essaye de gagner assez de temps pour le bateau-stop jusqu’à Cuba où je rejoindrai ma sœur. Je loupe très certainement beaucoup de choses à visiter en route. Néanmoins, j’ai des priorités et je tiendrai mes promesses. Notamment celle de la rejoindre à temps.
Un couple de retraités brésiliens m’emmène jusqu’à Ciudad de Dios. C’est à cette ville que je changerai de direction, vers le nord. Tout au long du trajet, on écoute le CD de leur fille aujourd’hui décédée. Cela fait maintenant quelques années. Elle chantait dans des bars pour gagner sa vie. Et même si plusieurs années se sont écoulées, ses parents écoutent toujours la voix de leur fille avec beaucoup d’émotions. Et il en sera certainement ainsi pour le reste de leur vie. Que ceux qui lisent cette histoire, pensent et/ou prient pour eux. Une fois qu’ils m’ont déposé, je me dirige vers ma nouvelle destination, Yurimaguas. De là, je continuerai en bateaux (plus de détails au prochain post) afin de traverser l’Amazonie jusqu’à l’océan Atlantique. Par contre au moment où je suis déposé, mes proches ne sont pas encore au courant de ce changement d’itinéraire. Seuls mes deux amis, actuellement en Amérique du sud, le savent. J’ai envie de faire une surprise à mes parents… du style : « Devinez où je suis actuellement ? En France figurez-vous ! ». Alors qu’ils penseront que je me trouve en Équateur ou en Colombie, je serai en réalité en Guyane.
Je fais une petite pause dans une auberge pour deux petits jours. J’apprécie l’irrégularité des campagnes. Surtout, lorsque la topographie n’est pas plate. La montagne m’épatera toujours. La mer, elle, me parait plus monotone. Aussi, je viens de remarquer qu’il me reste trois mois, et non deux, avant l’arrivée de ma sœur. J’ai du temps maintenant. Mais, j’ai envie d’avancer. Après bientôt un mois au Pérou, cela me suffit. Quittons le pays. D’ailleurs, ma sœur a bien raison. Je suis impatient.
Une fois de plus, je suis chanceux. Comme ce fut le cas il y a à peine quelques jours, un camion m’emmène pendant plus de six heures. Je n’ai fait qu’un seul véhicule en stop aujourd’hui. Je reste alors avec la même personne du matin jusqu’au soir. D’ailleurs ici, il n’est pas facile du tout de trouver quelqu’un qui puisse m’emmener. Ne serait-ce qu’à mobylette. Mais ce qui me rend vraiment chanceux, c’est que ce camion-ci va loin et ce dans la même direction que moi ! En effet, je suis un « Lucky Man » comme il dit. Et ça l’a d’ailleurs été tout au long de ma vie. Je me suis toujours considéré comme quelqu’un de chanceux. Selon moi, il est important de mettre cela à contribution de ceux qui en ont moins sur le plan social et matériel. Malheur à moi si j’en fais une affaire d’orgueil. Pour l’instant, je voyage afin d’apprendre et de me construire !
MAISON ET AVENTURE
Est-ce bien de partir aussi longtemps ? En France, la vie suit son court, certaines choses changent. La nouvelle la plus choquante est le mariage d’un ami. J’en suis terriblement étonné. J’apprendrai un mois plus tard qu’il ne s’agissait que d’une simple blague. Moi-même j’en fais une à ma propre famille. De plus, une amie a eu un autre enfant. Et ceci n’est pas une blague. Mais qu’importe. Mensonge ou vérité, ces grands évènements arrivent forcément lorsqu’on décide de partir pour une telle durée. Et même en sachant cela, je suis chamboulé par la nouvelle. À vrai dire, je suis apeuré. Peur de toujours apprendre ces nouvelles en tant que simple spectateur et non pas en tant qu’acteur ou ne serait ce qu’en simple figurant. Mais c’est inévitable parce que tel est mon choix.
Pour comprendre cela, revenons quelques années en arrière. Durant mes années d’école d’ingénieur, je rêvais de voyage. Ou plutôt de partir. À ce moment, je me refusais de voyager plus d’un an ou deux. Aujourd’hui, je réalise que ce n’est plus du tout le cas. Cette limite auparavant imposée est presque dépassée. De plus, il m’est impossible de rentrer deux ans après mon départ. J’ai encore quelques petites choses à accomplir. Quant au motif qui m’a poussé à l’acte, c’est dû à des moments de solitude intérieure (traduction canasson : « Tout seul ! »).
Dès lors, mon voyage entamé, deux histoires se distinguent. D’une part, c’est la maison mise de côté. Une vie simple, une bulle européenne dans laquelle j’ai grandi. D’autres part, l’aventure qui débute dans le monde inconnu avec mon pouce. Une découverte en sac à dos, du monde et de moi-même. Je m’intéresse ici à la conséquence de cette séparation temporaire. Plus le temps passe et plus ces deux mondes, maison et aventure, s’éloignent l’une de l’autre. En effet, de part mon absence, mon emprunte alsacienne s’efface jour après jour. Tandis que je pars à la rencontre de nouvelles personnes, cultures et paysages ; en Alsace, certain(e)s se marient, meurent, déménagent. C’est donc cette distance géographique, mais surtout temporelle, qui m’effraie aujourd’hui. J’imagine qu’à mon retour, plusieurs choses auront changé. Une problématique principale se dessine. Ces deux histoires séparées peuvent-elles se rejoindre après un certain temps d’éloignement ? À quoi ressemblera cet éventuel retour ?
… Bien plus haut (texte aligné sur la bordure droite), j’ai décrit ma solitude. Mais aujourd’hui, je me sens bien seul. Ce qui auparavant ne pouvait que donner un état de malaise est à ce jour accepté et, je pense, fait désormais partie de mon caractère. Il va s’en dire que j’éprouve la même relation qu’André Brugiroux. Une proximité avec « la route », comme il l’est expliqué dans son livre« La route et ses chemins ». Un point de vue qui m’a influencé. Ou du moins, depuis que je voyage par la cordière des Andes, j’arrive à comprendre cette recette principalement composée d'asphalte et d’introspection. Lui décrivait « la route » comme une compagne, je la désignerai plutôt comme mon chez moi.
Un jour l’aventurier devient nomade. Ce n’est ni une légende, ni un fantasme. Voici quelques exemples. Après huit ans à moto, un Italien continue de bouger de pays en pays. Aucun retour n’est prétendu. Et tant pis s’il ne lui reste qu’un seul ami en Italie, son ancien chez lui. Tel est sa vie et il continuera à la vivre ainsi. Quelques temps après avoir traversé l’Amazonie, je ferai la rencontre d’un type qui est parti pour un voyage de plus de sept ans. Après être définitivement rentré, il a trouvé un travail et est à nouveau parti avec sa nouvelle copine pour un autre trip d’un an ou deux. Quelle vie vit-il aujourd’hui ? En lui posant la question, il me répondra que rien ne lui manque à la maison. Ni sa famille, ni ses amis, ni ses habitudes, ni son travail. Sa maison est là où il est. Et même s’il est parti depuis plusieurs mois, absolument rien ne lui manque. On peut en conclure chez ces deux individus que leur grand voyage respectif a affectés leur façon d’entreprendre la vie. Selon moi, l’axe du changement est la sédentarité. Et il n’est pas noir ou blanc. Chacun est affecté différemment. L’italien continue de voyager. Quant à celui que j’ai rencontré à l’autre côté de l’Amazonie, il a trouvé son équilibre. En effet, il y en a qui ressoudent maison et l’aventure, et d’autres qui vivent leur nouvelle histoire désormais irrévocable. Effrayant, non ?
Au retour, ma famille et quelques amis seront toujours là, présents et disponibles. Mais, ce ne sera plus comme avant. Certains seront mariés ou séparés ; d’autres seront émus par des naissances ou des décès ; d’autres auront changé de statut social, de résidence ou encore seront tout simplement différents. J’imagine mon retour semblable au retour d’un personnage de série. Mort, ou parti en voyage, dans une des premières saisons finie depuis plusieurs années, il revient. Qu’importe comment. Le retour sera acclamé par les auditeurs… Mais les auditeurs encore présents. En effet, l’histoire suit son court durant l’absence de l’aventurier. On ne peut empêcher le temps d’avancer. En vérité, j’ai peur de demeurer un vieux souvenir dû à mes propres choix.
Deux choses m’angoissent donc. Présentement, une longue solitude intérieure et, à l’avenir, si et comment mon aventure subsistera. Mais, j’étais conscient de ces choses lors de mon départ. Malgré mon choix, malgré le mal du pays, malgré la maison mise de côté, je reste moi-même et aujourd’hui je suis toujours fier de continuer à voyager. Un jour peut-être, j’aurai le luxe de cette vie simple auquel j’aspire encore : une famille, des enfants, un travail, des hobbies. Celui et d’autres rêves me préoccupent. Et même, si faire de ce type de voyage n’a pas que des avantages, le stop est un rêve que je me dois de réaliser maintenant.
Qui serai-je au retour ? Un souvenir solitaire ? Est-ce le résultat d’un départ non-conflictuel, une vie aimée mais malgré tout quittée ? Puisque j’ai décidé de voyager davantage, comment la solitude évoluera-t-elle ? Suis-je près à accepter un tel risque émotionnel ? Bien sûr que vous ne m’oublierez pas. Puisque autrement, vous ne liriez pas ces innombrables lignes. Bon nombre d’entre vous seront présents à mon retour. Mais comment ? Et surtout, comment serais-je ? Comment me sentirai-je ? Voyez que c’est surtout un débat interne. J’extériorise simplement l’introspection dans ces montagnes péruviennes. C’est bien pour cela que j’écris ces posts (qui sont un peu trop long, n’est-ce pas ?). Ce changement, cet apprentissage, cette aventure me sera t-il réellement bénéfique ? Tant d’incertitudes que vous partagez certainement chez vous sous d’autres formes.
AMAZONIE TERRESTRE
Je continue mon périple vers Yurimaguas. De là, je compte aller jusqu’en Guyane en passant de bateau en bateau tout au long de l’Amazone. Mais c’est avec un mal d’estomac, depuis la veille, que je démarre la journée. Serait-ce la matérialisation de tous ces questionnements ? Comme en Bolivie, c’est certainement dû à de la bouffe mal cuite ou de l’eau peu potable. Serait-ce la tourista ?
J’attends à la sortie d’un village au côté d’une vieille dame. Pendant qu’elle enfile de la laine, je lève le pouce au niveau d’un dos-d’âne. Puisque les automobilistes ralentissent, c’est bien le meilleur spot. Je continue comme les jours précédents, mais dans un décor tout à fait différent. Je quitte petit à petit la montagne. Quant à la végétation, elle est plus en plus dense et verdoyante. Je suis entré en Amazonie. Ça y est. J’y suis ! En fin de journée, on me dépose comme demandé devant une église. Une église gigantesque (de la taille d’un stade de foot) dans un petit village nommé Segondo Jerusalen. Marrant ! Comme à mon habitude je vais demander, une fois leur cérémonie finie, s’il est possible de pouvoir dormir dans cette megachurch pentecôtiste pour la nuit.
A la dernière ville étape avant Yurimaguas, je pars en oubliant mon anti-moustique. Après un petit quatre d’heure je demande de redescendre afin de revenir au rond-point précédent. En descendant, un groupe de touristes péruviens s’étonnent de ma décision. Il y en a aussi à Yuri me disent-ils. Têtu, je monte dans un collectivo improvisé qui passe par le rond-point. J’ai tout de même réfléchi sur la réelle nécessité de l’anti-moustique. Et ils ont raison. Je peux très bien l’acheter là-bas. Et d’ailleurs, il n’est pas sûr que je puisse retrouver mes flacons perdus. Et donc, un tel détour pour si peu est-il nécessaire ?... Et me voilà en train d’essayer de me rassures : “Mais ça vient de France ! De ma mère !”. Foutaise, bien sûr que cela ne vaut pas le coup. Ils en ont également là-bas. Mais, ce flacon représente également la promesse faite à ma sœur. Celle de rester prudent, surtout vis-à-vis de la santé. J’entre dans l’Amazonie. Comme pour Iran, il vaut mieux entrer avec prudence. Sans protection moustique, je pourrais encore attraper une de ces conneries exotiques. À ce jour, je reste fier d’être finalement revenu au bord de ce rond-point pour récupérer la promesse que j’ai faite à ma sœur. L’honneur !
Arrivé au port, je comprends qu’il n’y a qu’une seule agence qui va jusqu’à Iquitos, capitale amazonienne du Pérou. De plus, aucun bateau de marchandise qui s’y dirige ne se semble accepter des travailleurs pour la traversée. Un blanc sur une péniche ? “Pourquoi faire ?”… Les gars qui chargent et déchargent restent toujours au port. Chaque port comporte des supports logistiques pour ces tâches. Chercher des traversées gratuites en tant que volontaire est donc peine perdue. Je décide alors de tout simplement payer la traverser.
Après dix minutes de moto-taxi payé en pleine nuit, je me retrouve à un autre port qui ne figure sur aucune carte. J’entre. Puis, je monte sur le bateau que l’on m’indique. En plus de l’équipage, il y a également des locaux, un couple polonais et quatre allemandes. Ouf ! Je ne suis pas seul pour cette nouvelle aventure ! Le départ, selon l’agence, est prévu pour demain ou après-demain matin.
Bon, c’est partit pour la Guyane (en secret) !